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Joyce Crane (Gawn)

Le texte qui suit vient de Linda Poulton, de l'administration centrale, à Charlottetown. Sa mère, Joyce (Gawn) Crane, était une épouse de guerre et son récit est incroyable.

« J'avais 16 ans quand la guerre a éclaté. Nous avons appris qu'Hitler avait envahi la Pologne et à 11 heures, le dimanche 3 septembre, le premier ministre, Neville Chamberlain, a annoncé au pays que l'Angleterre était dorénavant en guerre avec l'Allemagne.

J'étais en deuxième année d'apprentissage et mes amis et moi nous demandions ce qui arriverait, puisque nous étions désormais en guerre. Nous l'avons vite découvert, car la radio diffusait sans cesse des bulletins qui donnaient des directives sur ce qu'il fallait faire en cas de raid aérien. Nous avions des exercices d'alerte aérienne; quand la sirène se faisait entendre en hurlant très fort, nous mettions un terme à tout ce que nous faisions pour nous mettre à l'abri au sous-sol des églises, dans les stations de métro et dans tous les endroits qui assuraient une protection. Quand la « fin de l'alerte », qui consistait en un long coup de sirène fort et clair, se faisait entendre, nous retournions à nos occupations. Pendant ce temps, on construisait partout des abris.

Joyce Crane

Des masques à gaz, qu'il fallait toujours avoir sur soi, ont été distribués. Le masque était en caoutchouc noir; passé par-dessus la tête, il était muni à l'arrière d'une courroie réglable, d'une fenêtre qui permettait de voir et d'un long tuyau en caoutchouc relié à la partie nasale et aboutissait à l'étui, dont un côté était fermé hermétiquement. Il fallait voir l'allure bizarre que nous avions quand nous le mettions tous pendant les exercices. Tout le pays était dans le noir et aucune lumière ne devait être visible; à cette fin, nous tendions de lourds rideaux noirs aux fenêtres et il fallait éteindre la lumière dans le vestibule avant d'ouvrir si quelqu'un se présentait à la porte. Des abris antiaériens étaient fournis à ceux qui avaient un jardin à l'arrière. Un grand trou était creusé et l'abri, qui était fait de tôle d'acier ondulée courbée, était placé dans le sol et ensuite complètement recouvert de terre. Papa a donné au nôtre une belle apparence en faisant pousser de l'herbe partout au-dessus, il a posé des tapis sur le sol pour couvrir la terre, aménagé un siège le long de chaque côté, installé une lampe, suspendu un lourd rideau à l'entrée et aménagé un escalier qui descendait du jardin; l'abri était donc très confortable.

Le « blitz de Londres » a été l'étape suivante. Croydon est un faubourg situé directement au sud-est de Londres. Il y avait là un assez grand aérodrome qui est devenu un aérodrome militaire; comme de raison, il est devenu la cible des bombardiers allemands et nous nous sommes donc retrouvés en plein coeur de l'action. Tous les soirs, à peu près à l'heure du coucher, les sirènes se mettaient à hurler et nous descendions dans l'abri. Après un certain temps, nous avons pris l'habitude d'apporter un goûter constitué de pain et de fromage et d'une bouteille isolante remplie de thé ou de cacao. Les raids, qui avaient lieu presque tous les soirs, duraient ordinairement environ deux heures. Si l'ennemi sautait une nuit, nous nous considérions très chanceux au réveil, le lendemain matin. Le blitz a duré environ trois mois.

Une nuit, pendant un raid assez intense, nous avons entendu du bruit à l'entrée et un gros rat est entré en sautant au travers du rideau; quand il est entré, nous sommes sortis! Nous avions un petit épagneul appelé Sally qui s'est aussitôt attaqué au rat. Après beaucoup d'aboiements et de cris aigus, le silence est revenu. Quand nous avons regardé à l'intérieur, le rat était mort! Nous avons donc pu rentrer. Mon frère Bill, qui était alors en permission et qui venait du Moyen-Orient, a déclaré qu'il était heureux d'y retourner!

Il y avait plusieurs sortes de bombes. Les plus grosses servaient à détruire les grands immeubles ou des pâtés de maisons et faisaient de grands trous, tandis que les bombes incendiaires, qui étaient plus petites, allumaient des incendies. Nous avons formé des groupes dirigés par une personne, appelée préposé à la défense passive; chaque groupe patrouillait à tour de rôle afin de détecter les incendies ou de voir si quelqu'un avait besoin d'aide. Nous portions un casque métallique. Une nuit, un petit incendie s'est allumé dans le haut d'une maison et nous avons fait la chaîne pour faire passer des seaux par l'escalier; tout le monde riait et plaisantait et s'est retrouvé très mouillé, mais nous avons éteint le feu.

Une autre sorte de bombe qui arrivait de jour était la bombe volante, qui était une petite fusée munie d'un moteur et qui faisait un bruit de tondeuse. Nous pouvions les voir approcher et entendre le moteur, mais, quand ce dernier s'arrêtait, elle tombait aussitôt et tout le monde se couchait par terre, se protégeait la tête et espérait s'en sortir. Nous avons beaucoup ri à ce sujet aussi, surtout quand nous nous relevions sans avoir été touchés. Ces bombes étaient lancées depuis la France occupée et traversaient la Manche. Dans ce genre d'occasion, nous devenions tous de très bons amis et de bons voisins.

Les aliments étaient alors rationnés. La viande, le beurre, le sucre, le thé, les oeufs, les vêtements et le poisson ne l'étaient pas, mais ils étaient difficiles à obtenir et si l'on apprenait que du poisson allait arriver, faire la queue pendant une heure pour en avoir n'était rien. J'ai à cette époque cessé de sucrer mon thé et je n'ai jamais recommencé à le faire. Les magasins recevaient des États-Unis de gros pains de beurre d'arachide et du Canada des oeufs en poudre. Nous ajoutions de l'eau à la poudre jaune et nous faisions cuire le tout, mais c'était dégueulasse!

ballon de barrage

J'ai terminé mon apprentissage en 1942; j'avais 17 ans et je me suis enrôlée dans l'aviation. Comme l'aviation n'avait pas besoin de couturières et que je ne savais pas conduire ou travailler dans un bureau, on m'a affectée à la défense de l'Angleterre, ce dont j'étais très fière, et je suis devenue « préposée de ballon de barrage ». J'ai été six semaines à l'entraînement, c'est-à-dire à marcher au pas, à faire l'exercice et à recevoir des ordres. Un ballon de barrage est l'équivalent d'un très grand poisson muni d'un gouvernail; il était rempli d'hydrogène et fixé à un gros câble relié à un treuil que l'on actionnait afin de faire monter le ballon et il était maintenu au sol au moyen de gros cordages attachés à des blocs de béton. Il fallait aussi toujours le maintenir nez au vent; pour le faire tourner, il fallait déplacer les blocs d'une façon déterminée. Les ballons étaient placés dans les parcs ou dans les espaces dégagés dans les villes et aux environs des objectifs militaires et ils étaient hissés quand les sirènes signalaient un raid aérien. Leur but était d'obliger les avions ennemis à voler trop haut pour trouver leurs objectifs. Si un avion passait sous les ballons, il était censé heurter le câble et s'écraser. Les ballons étaient disposés à différentes hauteurs. Si la situation devenait trop dangereuse, nous pouvions sauter dans une tranchée simple, ce qui était très bien quand il pleuvait!

J'ai été cantonnée principalement dans le nord de l'Angleterre et j'ai longtemps été à Manchester (où se trouve la rue Coronation) et me suis faite des amis d'une famille merveilleuse, celle de Lucy et Harvey Taylor, qui étaient des parents éloignés du père de mon cousin. Ils avaient quatre enfants et je passais chez eux les fins de semaine et mes moments libres. Je me rappelle l'heure du thé, quand nous mangions de minces tranches de pain frais tartiné de beurre et des petits gâteaux devant la cheminée. Quand je passais la nuit là, Harvey se levait tôt, je me glissais dans le lit avec Lucy, il nous apportait le petit déjeuner sur un plateau et nous parlions assises dans le lit. Lucy était pour moi comme une mère et je l'aimais beaucoup.

J'allais normalement chez moi tous les trois mois passer deux semaines de permission et j'ai constaté que pendant mon absence, « maman », c'est-à-dire ma belle-mère, s'était adoucie à mon égard; j'ai eu quelques bons séjours à la maison, mais j'étais toujours très heureuse de retrouver la fièvre et les bons moments de la vie militaire. Une nuit, après une permission, mon amie et moi avons décidé d'aller boire du thé au casse-croûte de la gare de Manchester avant de retourner à la position de notre ballon. Le casse-croûte était bondé; pendant que nous étions assises là, nous avons vu un soldat canadien de belle apparence qui marchait vers notre table et qui nous a demandé s'il pouvait s'asseoir avec nous. Cela ne nous dérangeait absolument pas et je me suis dit que ma copine venait de se trouver un nouveau petit ami. Nous avons alors appris qu'il s'appelait Bruce, qu'il était venu en permission à Manchester et qu'il retournait à son unité dans le sud, près de Croydon. Nous n'avions pas beaucoup de temps pour parler avant le départ de son train, mais il semblait s'intéresser beaucoup à moi et pas à ma copine, ce qui était très surprenant. Je lui ai donné mon adresse et il est allé prendre son train. Un peu plus tard, j'ai reçu une lettre de mon père, qui mentionnait qu'un soldat canadien était passé à la maison, qu'il venait parfois prendre le thé et qu'il avait l'air d'être un bon garçon. Après être allé prendre le thé, Bruce m'a écrit et m'en a parlé et nous avons commencé à échanger des lettres. Par la suite, nous nous sommes mis à nous voir quand il était à Manchester ou moi à Croydon. Je ne me rappelle pas bien combien de temps après cela s'est passé, probablement environ six mois, mais il m'a demandé si je voulais le suivre au Canada; nous nous sommes alors fiancés et nous avons décidé de nous marier l'année suivante.

Plusieurs mois plus tard, je suis allée le visiter à son camp; à mon arrivée, ce dernier était vide. Un garde, à l'entrée, m'a dit que tout le monde était parti en France; il va de soi qu'il ne pouvait pas m'en parler dans ses lettres, car un très grand secret entourait ce genre de déplacement. J'ai donc passé mon temps à pleurer dans le train et je suis rentrée chez moi.

Je n'ai pas eu beaucoup de nouvelles de Bruce au cours des mois suivants jusqu'au moment où j'ai reçu une lettre affranchie en Angleterre portant une écriture que je ne connaissais pas. Une infirmière l'avait écrite pour le compte de Bruce afin de me faire savoir qu'il était de retour en Angleterre dans un hôpital militaire, assez grièvement blessé. Il conduisait un camion d'un convoi qui traversait Falaise, en France, et que les Américains avaient attaqué par erreur. Il avait des éclats dans un poumon et dans l'épaule. J'ai demandé une permission pour aller à l'hôpital et c'est seulement à son sourire que je l'ai reconnu. Il avait maigri énormément et avait failli y rester. Quand il a pu quitter l'hôpital, il a été envoyé à Seaford, sur la côte sud, en convalescence.

La guerre se déroulait alors surtout dans les pays occupés et les Alliés livraient combat aux Allemands pour les reprendre. L'Italie et le Japon s'étaient joints à l'Allemagne pour former l'Axe et la Russie s'était jointe aux Alliés. Les raids aériens contre l'Angleterre avaient beaucoup diminué et nous pouvions dorénavant vivre de façon plus détendue.

Après quelques mois, quand Bruce a commencé à aller mieux, même s'il était encore très maigre, nous avons recommencé à parler de mariage et nous avons pris les dispositions nécessaires. Nous avons tous deux obtenu deux semaines de permission et nous sommes mariés le 6 janvier 1945 en présence de ma cousine, qui était était ma demoiselle d'honneur, de mon frère Bill et de son amie Phylis; les deux petites filles de Mme Taylor, June et Sheila, servaient de petites filles d'honneur. Mme Taylor a emprunté pour moi une une robe de mariée et les filles portaient des robes qu'elles avaient déjà. Les vêtements neufs étaient rationnés et presque impossibles à obtenir. Un bon ami de Bruce, Happy Coleman, était notre garçon d'honneur. La cérémonie a eu lieu à l'église de notre paroisse, Thornton Heath, à l'église Saint-Paul. Nous n'avons pas fait de voyage de noces; les deux semaines ont passé très vite et il était temps de retourner à notre poste.

Les Alliés commençaient à prendre le dessus dans la guerre et nous pensions qu'elle ne durerait plus longtemps. À la fin, Hitler a abattu sa Fräulein et s'est tué et le général italien Mussolini a été capturé et pendu par les pieds. J'étais alors enceinte et j'ai eu ma libération de l'aviation. J'avais servi quatre ans.

Le jour où la guerre a pris fin, nous avons tous afflué à Londres et nous nous sommes joints à la masse des gens qui poussaient des hourras et qui agitaient des drapeaux devant la résidence de notre premier ministre, sir Winston Churchill, un héros britannique, l'homme qui nous a permis de passer au travers de la guerre.

Bruce est rentré au Canada en septembre à bord du Mauritania; parce que j'étais enceinte, j'ai dû attendre. Brian est né le 10 janvier 1946 et nous avons traversé l'Atlantique ensemble à bord du Queen Mary. Nous avons appareillé le 11 juin et sommes arrivés à Halifax le 15. Bruce était là pour nous acccueillir; au début, je ne l'ai pas reconnu vêtu de son complet et d'un chapeau en feutre. Je l'avais toujours vu en uniforme!

Après six semaines à Riverton dans la famille de Bruce, nous sommes partis pour Hazelbrook, où il avait acheté une ferme, et avons emménagé dans une grande et vieille maison de ferme aux planchers nus, sans eau; nous avions l'électricité dans quelques pièces, une table, quatre chaises, une plaque chauffante, un lit et un bébé! Il y avait une pompe manuelle dans l'étable et nous apportions l'eau à la maison dans des seaux. Tandis que Bruce organisait la ferme, je me suis mise à organiser la maison, où nous avons vécu 38 ans et élevé cinq enfants que j'aime beaucoup. Bruce est mort le 13 avril 1983, entouré de sa famille, dans la maison dont nous avions fait notre foyer. »

Joyce Crane (Gawn), aviatrice-chef (2036744),
du Service des auxiliaires féminines de l'aviation britannique (Women's Auxiliary Air Force),
qui a servi en Angleterre du 14 avril 1942 au 7 septembre 1945.
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