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Ils arrivent! – Robert F. Prette

En avril 2005, Malcolm Malley et son frère Laurence sont voyagé en Hollande avec leur père, Ernest Malley, Vétéran de la Deuxième Guerre mondiale a l'occasion du 60e anniversaire de la libération des Pays-Bas. Ils y ont été reçus par une famille de Drachten. Durant leur séjour de deux semaines, ils ont fait la connaissance d'un couple hollandais, Robert et Anka Prette. Robert leur a raconté toutes sortes d'histoires fascinantes sur ses souvenirs de l'invasion de son pays par les Allemands en 1945, alors qu'il n'était qu'un garçonnet de neuf ans. Pendant que Malcolm et son père étaient en Hollande, Robert et Anka ont fait une excursion de trois jours à Lochem, la ville natale de Robert, pour honorer les soldats britanniques qui leur ont rendu la liberté en 1945.

À la fin de 2005, Malcolm a reçu une carte de Noël de Hollande. Elle venait de Robert, qui y avait joint un récit de sa plume sur les expériences de sa famille avant, durant et après la Libération. Ce récit, d'abord été publié dans le journal local de Lochem à l'occasion du 60e anniversaire de la Libération, est aussi affiché à l'Imperial War Museum, à Londres (Angleterre). Cette histoire fascinante est aujourd'hui partagée avec Anciens combattants Canada.

Ils arrivent!

Il faisait froid, un froid mordant, un de ces froids qui vous gèle jusqu'aux os, au petit jour de ce lundi de Pâques du 2 avril 1945. Le fait que ce soit le temps de Pâques et que des averses lugubres d'une petite pluie fine se soient poursuivies toute la journée, tout comme le froid mordant, nous avait complètement échappé.

Nous étions emportés dans un tourbillon d'enthousiasme, tout était tellement impressionnant – particulièrement pour un petit gars de 9 ans – ce n'était plus du tout comme avant. « Ils arrivent! » C'est ce que nous ne cessions d'entendre encore et encore, comme pour dire – nous savions qu'ils viendraient éventuellement et maintenant, ils sont là. Et c'est arrivé, du moins pour moi; ce 2 avril 1945 s'est avéré aussi important que les autres dates mémorables comme le 10 mai 1940 (l'invasion de l'armée allemande), le 6 juin 1944 (l'invasion de la Normandie) et le 17 septembre 1944 (le débarquement aéroporté près d'Oosterbeek/la bataille d'Arnhem).

À Lochern, il y avait décidément quelque chose dans l'air durant les semaines qui ont précédé le mémorable 2 avril – les gens étaient inquiets, les soldats allemands étaient tendus et agressifs, « der Feind naht », l'ennemi arrive. Mais pour nous « Der Feind » était notre ami et quant à nous, « Der Feind » ne pouvait pas arriver trop tôt. Les avions alliés ont commencé à s'agiter dans le ciel et les citoyens ont commencé à faire des provisions et à rendre leurs caves habitables.

Les rumeurs se répandaient comme une traînée de poudre. Une dame qui habitait près de chez nous maintenait que nous allions être libérés par des troupes d'élite constituées, d'après elle, des garçons provenant des meilleures familles. Quoi qu'il en soit, la semaine précédant Pâques, nous avons commencé à remarquer un genre d'exode des troupes allemandes – au début, au compte – gouttes seulement, mais avant longtemps, les troupes se déplaçaient le long de Barchemseweg, là où je vivais à l'époque. Elles ont emprunté la route principale de Lochem en direction de Nieuwstad, puis elles ont traversé le pont du canal Twente dans le petit village d'Ampsen. Et quelle collection d'objets hétéroclites constituait ce cortège misérable : des voitures et des camions volés, des charrettes de ferme (chevaux inclus), des carrosses de bébé, des brouettes, etc., ainsi que des véhicules militaires délabrés et mal entretenus. Beaucoup de soldats étaient forcés de se déplacer à pied et portaient des vêtements sales et en lambeaux qui pouvaient passer pour des uniformes. Quelle différence par rapport au spectacle du matin du 10 mai 1940 lorsque la glorieuse armée allemande traversait Nieuwstad sur la route principale menant à Zutphen.

Dans un élan de bravade, mon père a lancé à la colonne qui avançait péniblement « Seid Ihr das geheime Waffen? » [ Seriez-vous l'arme secrète? ], rappelant la propagande allemande pour remonter le moral des troupes promettant une « arme secrète » qui aiderait à renverser la vapeur. Un des soldats a répondu par une grimace cynique – bon nombre avaient désormais abandonné cet espoir. Petit à petit, le cortège devenait plus épars et à mesure que le vendredi (30 mars) avançait, il ne restait pratiquement rien; un silence de mort s'est installé, interrompu de temps en temps par le vol d'un aéronef. Nous étions devenus une sorte de no-man's land.

Par précaution, mes parents ont décidé avec les membres d'une famille amie du voisinage que nous irions tous nous cacher dans la cave de notre maison – nous étions neuf en tout. Il valait mieux faire preuve de prudence! La cave avait été aménagée de façon confortable avec des couches épaisses de paille pour se coucher. Il y avait même une sortie sur l'extérieur qui pourrait être utile parce que même si nous espérions sincèrement que cela n'arrive pas, la maison aurait pu être touchée et s'effondrer.

La soirée s'est installée, la nuit est tombée – un calme mortel régnait, le calme avant la tempête. Le samedi 31 mars, la même histoire s'est répétée. Nous sommes sortis prudemment de notre cave et avons jeté un coup d'oeil sur notre cour. Les « boches » avaient ordonné aux civils de rester à l'intérieur sous peine d'être tirés. C'était comme ça à l'époque. Mais nous ne pouvions entendre que le chant des oiseaux (c'était le printemps).

Soudainement, le silence a été brisé par le bruit infernal d'une moto. C'était une estafette allemande qui avait stationné sa motocyclette dans l'allée près de notre maison et avait commencé à regarder avec ses jumelles la route déserte en direction de Barchem. Environ cinq minutes plus tard, il avait disparu de nouveau en direction de Nieuwstad et son départ donnait un message qui nous comblait de joie : « en moins de deux jours, les pioupious seraient ici ». Ce fut le tout dernier Allemand que nous avons vu en uniforme.

Ce samedi soir-là, les premiers sifflements des grenades se sont soudainement fait entendre – l'artillerie alliée située à Ruurlo/Barchem avait commencé à tirer sur les Allemands postés au nord du canal Twente; autrement dit, directement de l'autre côté de Lochem. C'était un bruit terrifiant qui s'est intensifié durant la journée et au cours de la nuit qui a suivi (le dimanche 1er avril). Parfois, le grondement sourd des explosions pouvait également se faire entendre lorsque les ponts traversant le canal Twente et la petite sous-station d'électricité derrière ce qu'on appelait à l'époque l'école technique de Nieuwstad ont été bombardés. Parfois, il y avait de brèves pauses et nous pouvions entendre le bruit des avions légers de reconnaissance. Dès que le bruit des petits avions avait disparu, les tirs reprenaient. Cela s'est poursuivi toute la journée et la soirée de dimanche (1er avril). Nous commencions presque à nous y habituer en attendant à la lumière sinistre de la petite lampe de kérosène de notre cave. Vers quatre heures, quatre heures et demie, le matin du lundi (2 avril), les tirs avaient arrêté de nouveau et le silence de glace s'était réinstallé encore une fois. Mais cette fois-ci, c'était différent – le silence persistait.

Après environ une demi-heure ou une heure, soudainement nous avons entendu un bruit de pas – les pas d'une seule personne. Nous pouvions entendre le crissement du gravier autour de la maison. Personne n'a bougé un muscle. Nous sommes restés groupés avec angoisse, osant à peine respirer lorsque le bruit des pas s'est arrêté juste devant la porte de notre cave. Nous ne savions pas de qui il s'agissait; peut-être était-ce les Allemands qui revenaient.

Ensuite, après quelques secondes, qui nous ont semblé des heures, ces mots de liberté que je n'oublierai jamais de ma vie : « Hello, are you alright? » [ Allô, vous allez bien? ] En larmes, ma mère et moi qui la suivais de près avons monté les marches à la hâte. Un soldat britannique se trouvait là, le visage partiellement noirci, le fusil prêt à tirer, nous examinant avec inquiétude. Il a bégayé quelque chose comme « Y a-t-il des Allemands dans le coin? », mais ma mère s'est jetée dans ses bras pendant que son fusil tombait avec fracas au sol. Nous étions libres, nous étions vraiment libérés! C'était comme un rêve pour moi. Le soldat a bientôt été rejoint par un autre et après les avoir rassurés qu'il n'y avait pas d'Allemands dans la cave, mon père leur a demandé s'ils avaient besoin de quelque chose. Ils avaient soif et ont demandé de l'eau. Je n'oublierai jamais comment ma mère a donné un verre d'eau au soldat, qui le lui a redonné en lui demandant de boire d'abord. Il craignait de toute évidence que l'eau soit empoisonnée ou contaminée. Peu après, nous pouvions entendre le bruit des chenilles sur la route en face de notre maison. Il provenait des soi-disant chenillettes, des véhicules de reconnaissance bas et légèrement armés dont le toit était ouvert. Mon père m'a soulevé et en regardant dans l'intérieur sombre, je pouvais voir les lumières du tableau de bord qui brillaient. Plein d'enthousiasme, j'ai crié la seule phrase en anglais que je connaissais, celle que mon père m'avait enseignée quelques mois auparavant : « Avez-vous du chocolat à me donner? » Dans l'obscurité est sortie une main tenant une tablette de chocolat, une gâterie inconnue pendant tellement d'années. La même main m'a ébouriffé les cheveux et une voix sortant de l'obscurité m'a annoncé : « You are a free boy now! » [ tu es un garçon libre maintenant! ].

Les Britanniques ont poursuivi leur route, mais ils ont été suivis immédiatement par les Canadiens qui se sont installés à l'hôtel Schoonoord, auparavant situé dans notre rue. Tout cela ne faisait aucune différence pour nous les enfants. Pour nous, ils étaient tous des « pioupious » et nous étions tous d'avis qu'il était merveilleux de les avoir parmi nous. Mais si nous pensions que la guerre était terminée pour nous, nous nous trompions.

Les grenades allemandes ont commencé soudainement à pleuvoir sur nous de partout dans notre quartier. Une d'entre elles est tombée dans la cour de la vieille église, une autre a détruit le toit de la maison de notre voisin. Une autre encore a touché une jeep stationnée dans le jardin de l'hôtel des Canadiens et bien sûr, nous nous trouvions justement à nous promener par là à ce moment-là. Je me rappelle encore que je pouvais entendre le sifflement des grenades qui venaient en notre direction; une paire de bras forts d'un soldat canadien m'ont attrapé et m'ont entraîné dans l'entrée de l'hôtel où nous trébuchions immédiatement sur d'autres corps dans notre course vers un endroit sûr. Ensuite un gros boum, beaucoup de poussière et un instant après, le gémissement d'un soldat blessé qui était transporté dans la même entrée sur une civière, le sang coulant abondamment de son ventre.

Alors, c'est ainsi la guerre, me dis-je, vu de mes yeux de petit enfant.

Cinquante ans plus tard, au printemps 1995, je prenais une tasse de thé à l'extérieur du restaurant Mondani sur le Graaf Ottoweg avec mon ami (ex-caporal) Joe Thomas du Somerset Light Infantry Regiment, qui avait 70 ans alors et qui a maintenant 80 ans. Nous parlions de « ce temps-là », il y a longtemps. Il était là, un Anglais terrifié de 20 ans, quelque part dans un lieu étrange appelé Hoge Enk, qu'il ne pouvait même pas prononcer; j'y étais aussi, un petit Hollandais de 9 ans me cachant un peu plus loin, dans une cave. Nous avons tous les deux survécu.

Je montre du doigt le Graaf Ottoweg en face de nous en disant : « Il y a 50 ans, vous êtes arrivé sur cette route ». Avec un regard un peu amusé, il m'a répondu en souriant : « Ils ne servaient pas le thé à l'époque, Robert! »

Une larme coule doucement sur ma joue.

Robert F. Prette
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