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Les mémoires de Gordie Bannerman

La Belgique et la Hollande

Cattolica, en Italie, février 1945. Notre séjour en Italie achevait. Un détachement précurseur spécial, mené par le Capitaine Charlie Brown, avec l’Adj 2 Claire Kelley, moi-même l’Adj 2 Gordie Bannerman ainsi qu’un autre officier et des chauffeurs. On nous dit que nous étions le détachement précurseur en prévision de l’Exercice Goldflake. Tous les signes identifiant les unités ont été camouflés. Les insignes du Canada ont été retirés. Venant de toutes les régions de l’Italie, les troupes avançaient dans les Apennin en direction de Livourne et on nous installa dans un camp de transit nommé Harrods. Nous étions certains maintenant que nous étions sur le point de quitter l’Italie, qu’il ne s’agissait pas d’un exercice pour rejoindre la 5e Armée américaine, mais que nous avions une autre destination qui nous était encore inconnue.

La tour penchée de Pise n’était pas très loin, mais nous avions des ordres stricts de nous tenir prêts à tout moment pour monter à bord des barges de débarquement (LCT). Je n’ai donc pas eu l’occasion de voir cette fameuse tour de Pise. Nous nous sommes embarqués à bord des LCT le 16 février, mais vers où? On nous apprit en route que nous allions à Marseille, en France. Nous allions rejoindre le reste de la Première Armée canadienne dans le nord-est de l’Europe. Au large des côtes de l’Italie, nous étions heureux, bien sûr, mais aussi un peu tristes de laisser nos vieux copains qui, eux, avaient été moins chanceux et reposaient pour l’éternité en terre italienne.

Nous n’avions pas totalement complété notre mission de chasser les Allemands d’Italie. L’Italie était notre demeure depuis 1943. Nous avions du respect et de l’admiration pour les paysans italiens. Nous étions une bande de frères mal équipés et nous avions vaincu un ennemi qui avait lancé toute sa puissance contre nous. Nous pensions à ceux que nous avions laissés derrière. Est-ce que nous aurions un jour l’occasion de revoir ces lieux?

L’équipage du LCT était américain, il y avait du gâteau à la farine blanche, de la crème glacée, des steaks et d’autres gourmandises. Et puis du Coca Cola et de la purée de vraies pommes de terre. Nous souhaitions que ce voyage se poursuive pour l’éternité. La traversée prit deux jours au terme desquels nous arrivâmes au port de Marseille, les barges se faufilant entre les navires coulés, puis on nous dit de ramasser nos affaires et de monter dans les camions qui prirent la direction de la vallée du Rhône sans que l’on sache quelle était notre destination finale.

Il y avait encore beaucoup de batailles à gagner, et nous étions là, sur le sol français, ce sol sur lequel mon père avait combattu durant la Première Guerre mondiale. Comme l’histoire se répète! Mon frère aîné et moi étions sur ce sol français à peine 26 ans après que mon père y ait vécu la fin de la Première Guerre mondiale.

France, février 1945. Nous allions vivre de nouvelles aventures. Débarqués à Marseille, nous avons monté par la vallée du Rhône. En route, nous ne devions rien jeter sur la route qui aurait pu indiquer que nous étions Canadiens. Cela n’était pas nécessairement facile, car nous étions fiers d’être des Canadiens. Aussi, on nous demandait de ne pas parler aux civils le long du chemin et si nous devions le faire, il fallait leur dire que nous étions britanniques.
Nous étions en France et tout au long de la route, les femmes étaient jolies, bien vêtues et j’étais étonné de voir leurs cheveux, que certaines avaient teints en pourpre, d’autres en vert. La route était longue : de Marseille à Lyon, puis Paris, puis la Belgique, elle devait bien faire 900 milles. J’ai vu défiler ce pays depuis l’arrière d’un camion de 1500 q où j’étais installé. Une position pas nécessairement très inspirante, certes, mais j’étais excité de tout voir ce que je pouvais en chemin.

Le déchargement à Marseilles de pièces de 25 livres en préparation du long trajet de la France à la Belgique.

Nous avons vu les vestiges des batailles de la Première Guerre mondiale, ainsi que les cimetières où les morts de la guerre étaient enterrés. C’était généralement des cimetières allemands en mauvais état. Les pierres tombales penchaient et dans certains cas, elles étaient même couchées au sol. Nous avons vu de vieilles casemates de la Première Guerre. Tout au long de la route jusqu’en Belgique, il y avait de vieilles munitions de la Grande Guerre que les fermiers avaient trouvées en labourant leurs champs. Certaines fortifications en ciment étaient maintenant utilisées par les fermiers comme entrepôt ou enclos pour les porcs.

Notre convoi était soumis à des contrôles très sévères et nous ne pouvions nous arrêter pour admirer les divers points d’intérêt. Dans les zones d’étape, on faisait le plein des véhicules, nous mangions et pouvions dormir dans des tentes. Mais nos déplacements étaient restreints et nous n’étions pas autorisés à quitter les zones d’étape. Nous y prenions le petit-déjeuner, on nous donnait alors notre ration pour le déjeuner et nous prenions le repas du soir à la zone d’étape suivante.

Nous traversions des forêts jeunes, dont les arbres n’avaient que 27 ans. On récoltait donc de nouveau les arbres là où, il y a 27 ans, il n’y avait qu’une terre inculte et boueuse. La nature avait lentement repris ses droits sur cette terre et une nouvelle forêt avait poussé. On la coupait maintenant, révélant des casemates qui avaient été peu à peu recouvertes de végétation.

Au bout de cinq jours, nous sommes arrivés dans la petite ville de Wervik, tout juste passée la frontière de la France. Le capitaine Brown est allé voir le maire de la ville et les autorités des forces alliées pour qu’on lui indique où se trouvaient les maisons et les écoles où nous devions loger. Les endroits où nous logions étaient les mêmes où les Allemands avaient logé. Après nous être installés dans un entrepôt et avoir eu une bonne nuit de sommeil, le capitaine Charlie Brown nous a indiqué ce que chacun de nous aurait à faire.

Je devais trouver suffisamment de maisons assez grandes pour pouvoir loger nos troupes. Il était extrêmement difficile de cacher le fait que nous étions Canadiens. Mais nous y parvenions, même si les civils savaient bien que nous n’étions pas des Britanniques. Mais il était évident à nos teints bronzés que nous n’avions pas passé l’hiver en Hollande ou sur les rives du Rhin. Nous avons réellement reçu un accueil extrêmement chaleureux de ces gens charmants et nous garderions des souvenirs de ces témoignages d’amitié pour le reste de notre vie.

Ainsi loin du front, nous avions du bon temps. Le jour, nous allions de maison en maison, demandant aux occupants, dans notre flamand ou dans notre français rudimentaires, s’ils avaient une chambre pour héberger nos soldats. Au bout de quelques jours, toute la ville savait que nous étions à la recherche de chambres. Notre travail en était donc facilité, les gens venant nous voir pour nous offrir d’héberger les nôtres. Le soir, nous faisions la tournée des bars et buvions les douces bières belges. En allant de porte en porte, nous rencontrions parfois des gens qui parlaient anglais. Une femme d’environ 40 ans nous dit que des Canadiens avaient logé dans sa maison durant la Première Guerre mondiale. Nous avions beaux insister et dire que nous n’étions pas des Canadiens, elle n’était pas dupe et savait qui nous étions.

Chacun avait été placé dans différentes maisons et familles, et avant la tombée de la nuit, on avait bien pris soin de tout le monde. J’ai eu de la chance et j’ai logé avec un avocat du nom de DeVoss et sa famille. La famille DeVoss, issue d’une lignée d’avocats, vivait depuis trois ou quatre générations dans la même maison. C’était une maison superbe dans laquelle j’ai partagé une chambre avec Chuck Savin. La famille DeVoss était composée du père, de la mère et de trois enfants nommés Thérèse, Monique et Jean, ainsi que d’une bonne du nom de Denise. En arrivant à la maison, Chuck et moi avons tout de suite fait un tirage à pile ou face pour décider lequel de nous deux allait prendre le premier bain dans la baignoire immense se trouvant dans la salle de bain. Quel luxe! Après tant d’années en Italie, que de se trouver dans une baignoire avec de l’eau chaude à volonté et des serviettes blanches. Nous étions au paradis. 

Chuck était un instructeur adjoint en artillerie, c’est à dire un soldat professionnel spécialisé dans l’art qu’est l’artillerie, affecté à notre régiment. Il semblerait qu’il avait une grande affinité pour notre batterie, puisque durant l’avance de notre groupe de reconnaissance en Belgique dont je faisais partie, il assumait les fonctions de sergent-major de la  Fox Troop. Les soldats de l’unité de batterie le trouvaient sympathique et il s’entendait bien avec Orme Payne et Sid Robertson, ainsi qu’avec les officiers. Chuck était toujours prêt à prêter main-forte. Avec ses cheveux frisés, il avait tout pour séduire les femmes. 

Nous étions à Wervik depuis une dizaine de jours au moins lorsque le régiment est arrivé. Charlie Brown s’est rendu jusqu’à Cambrai pour y rencontrer le régiment et l’escorter jusqu’à Wervik. C’était vraiment excitant pour nous d’amener les troupes dans ces maisons magnifiquement tenues et où les lits avaient des draps propres. En montant les escaliers pour nous montrer les chambres, les maîtresses de maison enlevaient leurs souliers. Quel luxe cela représentait pour nous! Le capitaine Charlie Brown croyait que l’entrepôt était l’endroit tout indiqué pour installer le mess des officiers et loger ceux-ci. Mais le capitaine de la 76e Batterie Les Hand insista pour visiter les endroits où les hommes seraient logés. En voyant le luxe des maisons où les soldats seraient logés, il a tout de suite voulu parler au capitaine Brown. Mais comme les citoyens de la ville parcouraient les rues dans l’espoir de « capturer » un soldat ou deux pour les amener chez eux, les officiers ont pu être logés chez les citoyens. J’imagine que les liens que, comme détachement précurseur, nous avions tissés avec la population ont certainement aidé et, si nous avions su l’accueil qui attendait nos troupes, nous aurions pu simplement prévenir les citoyens de l’arrivée du régiment et leur dire d’en « capturer » tout de suite un ou deux. Cela nous aurait permis, à Kelly et à moi, d’économiser tout ce temps que nous avons passé à aller de maison en maison. Mais dans le cours de cette guerre interminable, ces journées auront constitué pour nous un très agréable intermède que nous n’oublierions jamais.

Le lendemain, le 8 mars, on a appris que des permissions de dix jours devaient être accordées immédiatement pour se rendre au Royaume-Uni. Ceux qui comptaient une famille avait la priorité. Ceux qui n’avaient pas obtenu auparavant une permission de plus de deux jours y avaient droit. Comme je n’avais pas obtenu de longue permission depuis juin 1943, pratiquement deux ans plus tôt, je me suis retrouvé sur la liste, tout comme Sid Robertson, qui n’avait jamais eu de permission depuis son départ outre-mer en 1941. Sid et moi sommes partis pour Ostende et avons ensuite embarqué à bord d’un navire à vapeur qui nous a amenés à Douvres, en Angleterre. Après être débarqués, nous avons pris le train et sommes arrivés à la gare de Waterloo quelques heures plus tard. Nous pouvions difficilement croire que nous étions de retour en sol britannique lorsque nous sommes sortis du train à la gare de Waterloo.

Je me souviendrai toujours des centaines d’épouses, de mères, de petites amies, de pères et de frères venus à notre rencontre. Ils vous regardaient en plein visage pour ensuite se détourner et passer au soldat suivant, à la recherche de l’être cher. Une fois le train reparti et lorsque nous avions tous quitté le quai, ce morne groupe se dispersait, plongé dans ses pensées. Mon père m’avait déjà mentionné qu’il avait assisté à des scènes du genre durant la Grande Guerre et je songeais alors à ces hommes que ce groupe ou des groupes similaires espéraient revoir, des hommes qui ne reviendraient pas car ils étaient enterrés là-bas. C’était un triste rassemblement où les seuls moments de joie survenaient lorsque tout à coup, au milieu de la foule quelqu’un criait « Le voici! Tu es rentré à la maison! », et qu’il se mettait à pleurer, à l’embrasser et à s’agripper à lui de peur qu’il ne disparaisse.

Sid et moi n’avions personne qui nous attendait au quai et nous avons donc pris un taxi pour nous rendre chez son cousin et son épouse dans l’Est de Londres, où nous avons passé deux jours. La nuit, alors que nous étions couchés chez eux, nous pouvions entendre les missiles V1 et V2 s’abattre sur Londres. Les explosions, qui étaient assez rapprochées, avaient élargi une fissure dans le mur. Sid et moi, nous disant que nous étions plus en sécurité sur le front, avons alors décidé de partir pour l’Écosse le lendemain matin et d’aller visiter ma parenté.

Nous avons eu maille à partir avec les forces de l’ordre la veille de notre départ pour Aberdeen. Sid et moi étions sortis en ville pour prendre un verre dans un pub quelconque de l’Est de Londres et nous avons ensuite erré dans les rues qui, sauf pour un éclairage assez obscur aux intersections, étaient des plus sombres. Nous avions ingurgité plusieurs chopines de douces-amères et probablement quelques rasades de whisk y. Naturellement, nous avions la vessie sur le point d’éclater alors que nous déambulions sur une rue déserte. Après avoir bifurqué sur une petite pente montante, nous avons décidé de nous soulager en haut de la rue, à l’entrée d’une allée.

Et tout à coup, nous avons entendu le bruit d’un gros pied se poser dans la flaque que nous avions créée et ce gros pied appartenait à un tout aussi gros policier londonien qui s’approcha de nous en pointant sa lampe de poche sur nos visages de chérubins. « Allons mes garçons, dit-il, ce n’est pas bien d’agir ainsi et ne me dites pas que vous êtes les auteurs de ces deux ruisseaux? Et qu’auriez vous dit si votre mère ou votre soeur avait tourné le coin pour mettre les pieds dedans ? » Nous ne savions vraiment pas quoi lui répondre. Il pointa sa lampe sur nos visages basanés et nous dit : « Vous n’avez certainement pas obtenu ces visages basanés en passant l’hiver en Angleterre ou en Hollande, mais vous revenez vraiment de l’étranger. Donc, profitez bien de votre permission, mais trouvez un urinoir la prochaine fois! »
Sid et moi avons pris le train de nuit pour Aberdeen, laissant Londres et les bombes volantes derrière nous. Le train était bondé, encore plus que la dernière fois où je m’étais rendu en Écosse, en 1943. Parmi la foule d’aviateurs, de marins et de soldats de toutes nations, on pouvait également voir des femmes en uniforme, surtout des membres du service territorial auxiliaire (ATS), du service naval féminin (WRENS) et l’aviation auxiliaire féminine (WAAF) britanniques. Comme nous, elles étaient en permission.

Arrivés tôt en matinée à Aberdeen, Sid et moi avons débarqué du train dans une ville que je connaissais bien, puis nous avons traversé la rue de la gare Union pour aller au Criterion Bar, qui appartenait à Johnny Frost, un bon ami de mon oncle Jack. Johnny Frost se rappelait de moi et nous offrit un verre pour nous souhaiter la bienvenue à Aberdeen. Nous lui avons dit que nous débarquions tout juste du train, mais que nous allions nous rendre immédiatement au Neptune. Nous avons donc pris l’autobus no 14 et, en compagnie d’un groupe de poissonnières et de travailleurs de chantier maritime, nous nous sommes rendus jusqu’au pied de la rue Dee et avons débarqué à l’arrêt, à quelques pas du pub de l’oncle Jack, le Neptune.

L’oncle Jack était enchanté de nous voir et, évidemment, lui et Sid se sont immédiatement bien entendus. Jack croyait que nous étions encore en Italie. Comme il l’avait fait en 1941, l’oncle Jack me demanda de nouveau : « Est-tu allé voir ta tante Cis ? » Nous lui avons répondu que non et que nous étions d’abord venus ici. Donc, comme la dernière fois, il allait prendre les choses en mains et nous envoya chez ma tante, ajoutant qu’il allait nous voir plus tard. Ainsi donc, Sid et moi avons pris le chemin du 15, Ashley Park Nord, où vivaient l’oncle Jack, ma tante Cis et leur famille. Drew, l’aîné, était à la maison, ayant obtenu un congé de la Marine. Quel accueil on nous a réservé! Ma tante Cis avais mis l’eau à bouillir pour le thé et constatant que c’était l’heure du lunch, elle nous prépara un repas. Après avoir passé la nuit à bord du train, nous avions probablement l’air défraîchis. Ma tante nous dit alors : « Les serviettes sont à la même place que d’habitude et le bain est prêt pour celui qui veut y plonger en premier. » Sid et moi avons chacun pris un bain et après avoir mangé un bon lunch et passé un peu de temps avec ma tante Cis, nous sommes retournés au Neptune Bar.

Le Neptune était pratiquement au bord de l’eau, entouré de marchands de matériel de navires, d’entrepôts et de chantiers maritimes. Le secteur avait été bombardé par les Allemands au début de la guerre, puis de façon sporadique pratiquement jusqu’à la fin des hostilités. Durant les bombardements allemands des chantiers navals, une bombe était tombée de l’autre côté de la rue, devant le Neptune, tuant quarante personnes qui se trouvaient au bar et détruisant totalement l’étage supérieur de ce dernier. La bombe avait sectionné le bout de la queue du chat du bar, qui allait passer le reste de sa vie avec la queue partiellement amputée. L’oncle Jack se dirigeait d’une section du bar à une autre lorsque la bombe éclata sur la rue, le projetant contre le mur et lui infligeant diverses contusions et coupures.

Alors que Sid, Drew (un cousin de la Royal Navy) et moi flânions dans les rues d’Aberdeen, Drew décida qu’il voulait une photo de nous trois. Au moment où nous nous apprêtions à entrer chez le photographe, Drew aperçut deux filles déambulant tout près et, étant un beau jeune marin, elles ne pouvaient certes pas résister à son charme. J’ai donc une photo de Sid, Drew et moi en compagnie de deux filles d’Aberdeen, deux inconnues dont nous n’avons jamais pu savoir le nom.

Gordie et ses cousins écossais

Peu de temps après, nous avons pris le train à Aberdeen pour nous rendre dans le Sud, au camp Borden, l’unité de transit de l’artillerie en Angleterre. À notre arrivée, nous avons immédiatement été pris en charge par le major R.J. Wood, commandant en second de l’unité, laquelle avait à sa tête un certain colonel Townsley. Par ailleurs, apprenant que nous étions dans les parages, le Lt Fred Schwab s’est également joint à nous. Fred était membre du 17e Régiment de l’ARC avant d’obtenir sa commission et il faisait maintenant partie de l’état-major de l’unité de transit. Nous avons passé quelques heures à jaser avec eux, car ils voulaient savoir tout ce qui nous était arrivé et, en particulier, qui était encore vivant et comment le régiment s’était débrouillé dans le feu de l’action.

Sid et Gordie en permission en mars 1945.

Un chauffeur nous a amenés à la gare ferroviaire en voiture d’état-major. Sid et moi étions assis à l’arrière tandis que Fred et R.J. Wood avaient pris place sur la banquette avant. Arrivés à la gare, Fred nous ouvrit la portière dans un geste élégant accompagné d’un salut. Ensuite, les deux officiers amenèrent notre sac à fourniment jusqu’au train et nous ont salués lorsque nous avons embarqué à bord, au grand étonnement de certains policiers militaires et autres soldats et officiers qui se trouvaient là. J’imagine qu’ils devaient se demander comment un sergent et un sergent-major pouvaient avoir réussi à se faire escorter en voiture d’état-major jusqu’au train par un lieutenant et un major. Nous avons monté à bord après tout ce cérémonial et pris la route de Brighton.

À notre arrivée à Brighton, Sid et moi nous sommes rendus dans le quartier de la place Brunswick, où nous étions stationnés en 1942. Sid avait l’adresse de l’épouse de Marty Allan et, si je me rappelle bien, deux amies de camarades en permission qui n’étaient pas arrivés. Ces dames étaient anxieuses de savoir où étaient leur mari et leur copain. Sid leur a transmis le message que leur homme arriverait sans doute le lendemain ou un peu plus tard. Brighton et le secteur de Hove comptaient plusieurs retraités du front et un grand nombre de soldats retraités de l’Armée indienne. Notre permission prit bientôt fin et nous étions de retour à bord du traversier qui devait nous ramener à Ostende pour nous permettre de rejoindre ensuite notre régiment à Wervik.

À notre arrivée à Wervik, nous sommes allés aux nouvelles pour savoir ce qui s’était produit durant notre absence. Le général Montgomery (Monty) devait visiter la division et il fallait procéder à une corvée générale de ménage et d’embellissement. On utilisa du carburant d’aviation pour nettoyer les uniformes et dégraisser l’équipement. Le carburant sale fut déversé dans un urinoir extérieur appuyé contre le mur de latrines doubles. Bobby Cochrane était déjà à son affaire dans une des latrines et Bob Andrew entra dans l’autre. L’un d’entre eux s’alluma une cigarette et jeta son allumette dans la fosse, provoquant une violente explosion qui projeta les deux Bob à l’extérieur des latrines. Ils se sont retrouvés sur le sol, couverts d’excréments en flammes, et on a dû les évacuer par avion pour faire traiter leurs brûlures.

J’avais beaucoup de rattrapage à faire pour me mettre au courant de ce qui s’était passé durant mon absence. Des histoires au sujet de la visite de Monty. Rassemblant les troupes autour de sa jeep, il salua tous les vieux camarades de la 8e Armée et leur dit : « Nous avons des tas d’Allemands à vous offrir en pâturage ici. » De nombreux Canadiens sont morts parce que les Allemands avaient entendu cette formule avant nous.

Chuck Savin s’était occupé de la troupe Fox durant mon absence et il s’en était tiré à merveille. Deux jours après mon retour de permission, j’ai été invité à un déjeuner officiel par le chef de la Croix-Rouge belge et son épouse, à leur résidence. Les Belges savaient que j’avais fait partie du détachement précurseur et ils allaient nous rendre hommage en nous servant un succulent repas. Et quel repas ce fut! Quelque sept ou huit plats, tous accompagnés, me semblait-t-il, d’un vin ou d’un alcool différent.

Entre chaque plat, tandis que leurs domestiques changeaient les couverts, le groupe allait au jardin, où l’hôte nous filmait. Je crois que le déjeuner a duré quatre heures. Après le dernier toast et un cigare, je suis retourné à la batterie, où j’ai rencontré le sergent-major de batterie Bill Lloyd, qui sortait du secteur, ayant reçu son congé pour la journée. Bill me regarda avec un sourire et me dit : « Sergent-major, le moment est venu de remettre votre titre de permission. » En d’autres termes, mon congé était terminé. Le lendemain, je retournais à la vieille routine.

Notre séjour à Wervik fut mémorable, et surtout l’hospitalité des gens. Tous ceux qu’ils accueillaient dans leur foyer devenaient membres de la famille. Quelle différence par rapport aux aires de repos en Italie, où nous étions à l’extérieur du front, mais devions loger dans des vieux immeubles bombardés qui n’étaient pas chauffés. Sachant que notre chance n’allait pas durer, nous en avons profité au maximum.

Vous pouviez rencontrer de jolies filles à la soirée de danse locale. Dans cette petite salle de danse, hommes et femmes partageaient la même salle de toilettes. Les hommes allaient à l’urinoir monté contre le mur, tandis que les dames utilisaient les trois ou quatre cabines de toilette à chasse d’eau situées derrière. Pour se rendre aux cabines, les dames devaient passer derrière les hommes à l’urinoir. Alors que nous nous entassions devant l’urinoir, les filles qui passaient derrière nous s’amusaient à nous donner un coup de hanche et à nous projeter pratiquement à travers le mur. Ensuite, se tordant de rire, elles se réfugiaient derrière la porte de la cabine de toilette. Ah, certes, certains de ces moments étaient amusants, et parfois embarrassants!

Un couple que j’avais rencontré lorsque nous sommes d’abord arrivés à Wervik possédait un petit bar. Une fois, cet homme, sa femme et moi-même avons franchi les douanes françaises avec des colis remplis de sel dans nos poches. Je n’ai fait ce type de contrebande qu’une seule fois et on ne m’a pas invité à répéter l’expérience. Remarquez que les gardes-frontières français n’étaient pas dupes, mais ils ne sont pas intervenus.
 
Peu de temps après, nous avons quitté Wervik pour passer par Anvers et nous rendre en Hollande, près de Bois-le-Duc, où nous étions bien loin du luxe que nous avions connu à Wervik. Dans ce secteur, nous pouvions voir passer les bombes volantes V1 qui vrombissaient à travers le ciel pour aller frapper le port d’Anvers, ou poursuivre leur route jusqu’à Londres. Ensuite, on voyait apparaître à travers le ciel un avion qui piquait vers les bombes volantes en tirant des rafales pour tenter de les détruire. Il y avait une batterie antiaérienne américaine composée totalement de Noirs qui détenait le record pour le nombre de bombes volantes abattues.

Bois-le-Duc, Hollande, mars 1945. C’était notre premier coup d’oeil sur la Hollande et nous avons constaté que la région était beaucoup moins prospère que Wervik, en Belgique. Le paysage plat n’était entrecoupé que de clochers d’églises, des églises énormes et grandioses dégageant un air de prospérité qui ne se reflétait pas chez la population avoisinante, car les gens semblaient pauvres et leurs maisons ne se comparaient en rien à celles des Belges.

J’ai décidé, en compagnie d’Orme Payne, de rendre visite à mon frère, qui était stationné à Grave. George était capitaine du service de guerre chimique au QG, où il s’occupait surtout de lance-flammes. Un soir, Orme, moi-même et notre chauffeur, Steve Gaylie, sommes allés le voir en voiture à Grave, mais il était sorti. Après lui avoir laissé une note indiquant où nous étions stationnés, nous avons pris le chemin du retour. Alors que nous roulions sur la route sinueuse dans le noir, il nous semblait que Steve somnolait et nous l’avons tous deux réveillé. Il a alors perdu la maîtrise de la jeep et en moins de deux, on s’est mis à déraper dangereusement, frôlant le désastre. Les jeeps sont notoires pour faire des tonneaux et tuer leurs occupants, mais Steve a heureusement repris la maîtrise du véhicule, à notre grand soulagement.

George et son équipe, composée d’un sergent d’état-major et d’un adjudant de 2e classe, sont venus nous visiter, Orme, moi-même et Johnny Wiebe, un jour ou deux après que nous ayons tenté de le trouver. Nous étions très contents de nous retrouver. Nous ne nous étions pas revus depuis 1941 et je ne l’avais jamais vu depuis qu’il était devenu officier. George nous a donné de bons conseils, nous informant que les maisons en Hollande ne résistaient pas aux obus comme le faisaient les bâtiments où nous étions en Italie. Les maisons d’ici sont faites de briques doubles et le tir des armes portatives les transpercerait de part en part tandis que les tirs de mortier feraient tomber les murs sur vous.

Nous savions que nous devions bientôt retourner sur le front. Nous avions reçu du nouvel équipement et le quartier général de l’Armée nous avait fait également savoir que tous les militaires devaient porter leur tenue de combat en tout temps. En d’autres termes, on nous traitait comme si nous étions de jeunes blancs-becs. Mais croyez-moi, nous étions convaincus que les blancs-becs, c’étaient les autres, et qu’une fois dans le feu de l’action, nos artilleurs et nos fantassins montreraient qu’ils sont tout aussi bons, sinon meilleurs.

Le 28 mars, le détachement d’avant-garde du régiment précéda les artilleurs sur les positions qu’ils devaient occuper sur l’île située entre Nimègue et Arnhem. À notre arrivée sur les lieux, nous avons constaté avec plaisir qu’il y avait beaucoup de maisons où nous pouvions nous abriter et établir le poste de commandement. Il y avait l’eau courante et l’électricité et on nous a dit que la centrale électrique se trouvait à Arnhem, sous contrôle des Allemands. Jamais durant notre séjour en Italie nous n’avions vécu dans un tel luxe. Les artilleurs sont ensuite arrivés avec leurs canons et ont commencé à pilonner les positions ennemies, car nos officiers observateurs avaient décelé un grand nombre de cibles sur l’île et sur l’autre rive, du côté d’Arnhem. Les munitions ne manquaient pas. Au début d’avril, on a chargé notre brigade de compléter le nettoyage de l’île. L’opération, appelée « Quick Anger », fut menée brillamment par la 11e Brigade.

Nous avons beaucoup exploré et fouillé les maisons. Certaines recelaient de bonnes provisions de fruits en conserves, de cerises et de baies que les Hollandais avaient laissé derrière dans leur précipitation. Dans un enclos de porcherie, nos camarades sont tombés sur un verrat qui a immédiatement foncé sur eux. L’enclos contenait les restes squelettiques d’un soldat allemand que le vieux porc avait dévorés, et il n’avait probablement mangé rien d’autre depuis fort longtemps. Le porc était dans un piteux état et nos camarades l’ont abattu. Inutile de préciser que nous ne l’avons pas mangé. Bill Copithorn a fabriqué des étuis de revolver à partir d’une chaise en cuir stylisé et j’en ai hérité d’un.

Après que l’île fut débarrassée des troupes allemandes, un écran de fumée fut établi le long de la rivière. Non seulement cet écran bloquait la vue à partir de la rive opposée, il empêchait également nos officiers observateurs de voir ce qui se passait de ce côté-là de la rivière. Nous n’avons pas essuyé de tirs d’obus dans le secteur, mais avons vu une batterie de roquettes canadienne tirer sur le secteur avoisinant d’Arnhem. C’était tout un spectacle que de voir l’arc de fumée que laissait derrière elle cette masse de roquettes qui fonçaient vers l’ennemi. C’était la première fois que nous voyons ce type de pièces d’artillerie, mis à part les roquettes allemandes Nebelwefer.

Elst, Hollande, avril 1945. Nous avions déménagé les canons près du village de Elst, pour pouvoir mieux soutenir l’attaque contre Arnhem menée par la 49th West Riding division, division britannique rattachée à l’Armée canadienne. De tous les choix qui s’offraient à elle, la 49e Division avait choisi un ours polaire pour orner son insigne d’épaule, ce que nous trouvions quelque peu bizarre. Près de Elst, j’ai trouvé le sac à dos d’un Britannique des troupes aéroportées. Ce sac à dos et son propriétaire avaient atterri ici lors de l’opération Market Garden, l’attaque aéroportée menée contre Arnhem le mois de septembre précédent. Cette attaque s’était avérée un désastre lamentable.

Le 12 avril, nous avons pilonné d’un tir nourri un secteur voisin de Arnhem, créant ainsi une diversion qui a permis à l’assaut principal mené par la 49e division de se dérouler presque sans résistance à l’autre extrémité de Arnhem. Nous avons ensuite reçu l’ordre de partir et nous avons donc quitté Elst dans l’après-midi pour nous diriger vers le Sud-Est, jusqu’à Cleve. Nous avons franchi le Rhin et nous étions maintenant rendus en Allemagne. Les grosses affiches que nous pouvions voir de ce côté n’avaient rien d’amical. Peu de temps après, nous traversions Emmerich, qui avait déjà été une assez grande ville. Elle n’était plus maintenant que ruines, des amoncellements de briques et de béton empilés au bulldozer jusqu’à quelque vingt pieds de hauteur. Nous nous déplacions sur cette route flanquée de chaque côté par le sinistre paysage nous rappelant que la guerre avait assurément été ramenée en Allemagne. Cette région de l’Allemagne semblait avoir été une zone d’exploitation agricole et laitière très prospère. On pouvait encore voir des Holstein dans les prés, ainsi que des civils qui s’activaient autour de leurs maisons. Aucun d’entre eux ne nous a salués ou même regardés lors de notre passage.

Nous sommes arrivés à la rivière Ijssel, située au sud de Arnhem, à la tombée de la nuit. Nous avons alors franchi un pont de bateaux, opération assez délicate où nous devions limiter le nombre de véhicules qui franchissaient le pont en même temps. La nuit était sombre et certains des véhicules n’avaient pas de phares tandis que les autres n’avaient que de très petits phares capuchonnés.

Une fois sur le pont flottant, nous ressentions un étrange sentiment en regardant les flots passer sous les pontons tandis que des gros obus sifflaient au-dessus de nos têtes, comme s’ils cherchaient à nous atteindre, nous et notre régiment, sur le pont. Mais ces obus passaient au-dessus de nous et allaient se fracasser et exploser au-delà du pont, à notre grand soulagement. Peu après, nous sommes entrés dans une ville et j’ai vu une affiche annonçant Arnhem. Je devais vraiment garder le regard fixé sur la route, car les Allemands en avaient retiré tous les couvercles de trous d’homme. J’imagine qu’ils voulaient s’en servir comme trous d’armes ou piéger les jeeps et les motocyclettes pour causer des embouteillages ou nous infliger des pertes. Nous avons positionné nos canons dans la périphérie nord de Arnhem. Les tracteurs et les autres véhicules étaient garés à proximité. Tout était assez tranquille et les troupes ont posté leurs sentinelles.  

Les sapeurs de l’Armée canadienne assemblent un pont Bailey sur le Rhin, près de Emmerich, en avril 1945.

Ceux qui n’étaient pas de faction se sont trouvés des endroits où dormir. Moi-même et quelques camarades nous sommes réfugiés dans une petite remise pour dormir. Le lendemain, nous avons été réveillés vers 5 heures par un barrage d’obus qui est passé au-dessus de nous pour aller s’écraser pratiquement sur notre stationnement de véhicules. Il s’agissait d’un tir de barrage que la 49e Division effectuait sur Arnhem et ses environs. Il nous a fallu quelques instants pour contacter ces positions de tir amies sur l’île Nimègue et leur demander de cesser immédiatement de nous tirer dessus. Quelqu’un avait commis une bourde et ce tir de barrage avait été annulé, mais j’imagine qu’un régiment n’avait pas obéi aux ordres. Aucun d’entre nous n’a été touché, mais nous avions une vue imprenable des obus qui éclataient le long d’une colline boisée qui surplombait nos véhicules stationnés.

Nous avons pris rapidement le petit déjeuner pour ensuite nous remettre en marche. Toute notre division s’était mise en branle, poursuivant l’ennemi qui battait en retraite. Nous avons établi une autre position d’artillerie, mais nous n’avons effectué aucun tir et repris la route. C’était un 15 avril et nos chars semblaient gagner beaucoup de terrain.

Nous avons quitté les abords de Arnhem. La Mighty Maroon Machine, comme aimait se faire appeler la 5e Division blindée du Canada, sortit de Arnhem pour se lancer à fond de train à travers la campagne. Il y avait un secteur sablonneux et parsemé de boisés de pins, au contraire des paysages boueux de l’Italie, et les chars avançaient rapidement. Notre détachement précurseur s’est retrouvé derrière une colonne de chars. Sur ma moto, je ne pouvais doubler le char qui me précédait et lorsque j’y suis parvenu, c’était pour me retrouver derrière un autre char. Les gaz d’échappement et l’épais nuage de poussière me brûlaient le visage et les lèvres. Les chars sont arrêtés à une maison de ferme et j’ai fait de même. La ferme semblait abriter toute une famille de filles qui se sont venues serrer dans leurs bras les gars des blindés pour les remercier de les avoir libérées. Ne voulant pas être en reste, je les ai également laissé m’étreindre. L’une d’entre elles s’absenta un instant pour revenir avec un plat d’eau et tenter de laver mon visage couvert de fumée de gaz d’échappement et la poussière et ensuite m’appliquer de l’huile ou un autre produit sur mes lèvres gravement gercées.

16 avril 1945. Les détachements précurseurs avaient de nouveau été envoyés en avant. Cette fois-ci, je n’y suis pas allé, car les postes de commandement des troupes E et Fox étaient rapprochés l’un de l’autre et on m’a laissé en charge, parce que l’officier responsable de la position des canons, Art De Belle, était en permission. Un officier de chaque troupe a accompagné le détachement précurseur. Le détachement avait quitté le secteur des artilleurs depuis moins qu’une demi-heure à peine lorsque mon frère George se pointa en voiture avec son équipe, un adjudant de deuxième classe et un sgt d’état-major. Ils nous ont alors informés qu’ils étaient rendus au moins 30 milles plus loin sur la route sans avoir réussi à rattraper la 5e Brigade blindée et que la Maroon Machine semblait avancer à fond de train.

Juste à ce moment-là, l’officier observateur aérien nous a transmis l’ordre de tirer en nous donnant les coordonnées de la cible. George a alors lancé : « Il semble que vous allez être occupés », et il quitta les lieux. Le bombardier Andrews, de la troupe E, et l’artilleur Don Bulloch, de la troupe F, étaient chargés de localiser la cible indiquée par les observateurs aériens sur les tableaux d’artillerie. Le Bdr Bob Andrews a alors dit que nous ne pouvions tirer sur cette cible, car c’était la destination où notre groupe précurseur nous avait indiqué qu’il devait se rendre. Bob avait raison, ce qu’a confirmé Don Bulloch. Nous avons alors signalé à l’observateur aérien que notre détachement précurseur se trouvait dans ce secteur et on nous ordonna alors d’annuler le bombardement.

Très peu de temps après, nous avons reçu l’ordre de cesser le feu, puis d’accrocher nos canons car nous devions partir vers l’avant. Peu après, le Sgt Major Shkwarek revint et la troupe Fox suivit la troupe Easy sur la route menant au village d’Otterloo. Là, le Lt Alex Ross m’attendait en bordure de la route et m’a indiqué le champ où il avait placé les drapeaux de chaque position de tir. J’ai ensuite envoyé le Sgt Darcy Spencer avec son canon vers l’emplacement le plus éloigné, le Sgt Roy Johnson et le Sgt Pop Barkwell vers les suivants, puis le Sgt Nels Humble au dernier.

Le Lt Ross nous a informés que le poste de commandement de la batterie avait ordonné de ne pas creuser de trous à canon. Les canons ont été décrochés, positionnés et placés par le Lt Ross. Pendant ce temps, j’ai amené tous nos tracteurs et les véhicules excédentaires à l’arrière, dans un secteur situé le long du cimetière d’Otterloo. Cette position de tir était en quelque sorte à l’inverse, car normalement, notre poste de commandement de troupe serait situé derrière les canons. Mais il s’agissait de la seule maison se trouvant dans notre position et elle était à quelques verges d’un petit boisé situé devant nous. Ce n’était pas l’idéal, mais à ce moment-là, compte tenu des rapports que nous recevions, la soirée s’annonçait calme. Notre poste de commandement de batterie se trouvait devant la position de la troupe E et devant nos canons placés sur le flanc droit, juste de l’autre côté de la route.

Alors que nous étions en train de nous installer dans notre position de tir, deux civils hollandais sont arrivés et nous ont indiqué qu’il y avait deux cents Allemands dans un village situé à peu de distance et qu’ils n’étaient armés que de revolvers. Cela nous semblait étrange, car autant que nous sachions, nos chars étaient rendus à des milles plus loin sur la route. Ce groupe à dû passer inaperçu. J’ai donc décidé d’aller vérifier la chose de plus près en prenant le chemin de Hoenderloo sur ma moto. Alors que j’enfilais sur la route, une sentinelle du Irish Regiment tenta de m’intercepter. Je l’ai ignoré et m’éloignai en accélérant. Je me suis rendu jusqu’à une intersection et je m’y suis arrêté pour voir si je pouvais repérer ou entendre quelque chose.

J’étais véritablement envahi par une terrifiante et saisissante impression qu’on m’observait. D’un coup de pied, j’ai enfoncé le démarreur, le moteur s’est mis à rugir et, dans mon énervement et ma hâte de faire demi-tour pour rebrousser chemin, J’AI CALÉ le moteur. J’ai dû redémarrer, ce qui semblait prendre plus que le nombre habituel de poussées sur le démarreur. J’ai fait demi-tour et suis retourné à toute vitesse jusqu’à l’endroit où avait tenté de m’intercepter la sentinelle. Cette fois-ci, le garde m’arrêta en pointant son fusil sur moi et me demanda ce que diable j’avais bien pu penser en allant sur cette route et pour qui je me prenais, alors qu’on lui avait dit de ne laisser personne aller plus loin que son poste de garde. Je lui ai menti en disant que ne l’avais pas entendu la première fois. « Eh bien, sergent-major, arrêtez-vous la prochaine fois! », m’a-t-il rétorqué.

Une fois revenu de ma petite escapade sur la route d’Otterloo jusqu’au chemin Appeldoorn, j’avais la désagréable impression que tout n’était pas aussi calme qu’il le semblait. Le Lt Alex Ross a convenu que, même si on ne devait pas creuser des trous à canon, il fallait immédiatement creuser des tranchées de tir. J’ai alors fait le tour des pelotons pour leur dire de creuser des tranchées de tir. Au dernier emplacement de canon, trois chauffeurs du poste de commandement de la batterie qui s’étaient rendus devant notre position jusqu’à une autre maison sont arrivés sur les lieux. Un fusil mitrailleur Sten s’est mis à retentir. J’ai donc crié à McDonald, celui qui tenait le fusil, de cesser ses conneries et d’arrêter de tirer. Il m’a alors répondu qu’il ne pouvait stopper le fusil. Il le portait en bandoulière sur le dos et pour nulle autre raison que le fait qu’il s’agissait d’un maudit Sten, le fusil s’est mis à tirer. Tout ce que McDonald a pu faire, c’était de garder les jambes bien écartées en pliant les genoux pendant que le fusil a déchargé quelque 25 balles sur le sol, entre ses jambes.

De retour au poste de commandement, tous s’affairaient à creuser des tranchées de tir ou avaient terminé le travail. Je m’en suis creusé moi-même un, près du poste de commandement, à quelques pieds d’un camion du Irish Regiment qui normalement servait à remorquer un canon antichars de 6 livres. L’équipage du camion comprenait un caporal et deux autres fantassins. Notant qu’ils ne s’étaient pas creusé de tranchées de tir, je les ai harcelés jusqu’à ce qu’ils en creusent une bonne, à droite sur le côté opposé de la maison la plus rapprochée de la piste et des arbustes.

La nuit est tombée vers neuf heures du soir. Il n’y avait pas de tir et nos postes de commandement n’avaient pas vraiment signalé quoi que ce soit. La plupart des soldats s’étaient couchés, tandis que les artilleurs dans le champ avaient toujours une partie de leur détachement l’équipe qui montait la garde, tout comme l’équipe du poste de commandement qui couchait dans les tranchées à l’extérieur de la maison. Nous avons déposé nos sacs de couchage sur le plancher de la maison pour dormir. Pendant ce temps, Don Bulloch, le Lt Alex Ross et un signaleur, Fred Lockhart si je me souviens bien, étaient de faction dans la petite annexe rattachée à l’autre extrémité de la maison.

Vers onze heures, le Lt Ross m’a réveillé pour me dire qu’on avait signalé la présence de troupes allemandes qui se déplaçaient dans les buissons au nord de la maison. Il avait également appris du Lt Stone, du poste de commandement de la batterie, qu’ils entendaient des troupes s’approchant sur la route et qu’il fallait s’attendre à se faire tirer dessus sous peu. Nous nous sommes levés précipitamment, avons enfilé notre pantalon pour ensuite aller à la porte de la maison. Cette porte faisait face aux canons, mais était située à l’arrière de la maison. Juste à ce moment-là, les fantassins du Irish Regiment ont tiré quelques rafales de mitraillette Thompson. « Lieutenant Ross, a dit le sergent-major, envoyez quelqu’un au coin de la maison. » Comme je ne bougeais pas, le Lt Ross a dit : « Briant, occupez-vous de ce coin ». J’ai alors placé mon bras sur Bill Briant et lui ai dit : « Ne bouge pas! » Alors, un autre obus siffla au-dessus de nos têtes et explosa entre la porte où nous étions et le canon du Sgt Humble. Puis un éclat d’obus fut projeté vers nous en faisant un grand fracas.

Le Sgt Bill Copithorn a demandé s’il avait atteint quelqu’un. « Oui, moi! », ais-je répondu. J’avais été frappé solidement au bas du ventre. J’ai retraité dans la maison et passé devant l’artilleur Stubbington, qui était en train de s’extirper de la couche d’éclats de verre dont il avait été recouvert lorsque la première bombe avait fait voler les vitres en éclats. J’ai baissé mon pantalon et n’ai aperçu qu’un filet de sang sur l’estomac. Accompagné du Lt Ross, j’ai tourné au coin de la maison pour rentrer à notre poste de commandement. Tout juste après notre arrivée, le Sgt Humble s’est pointé avec quatre ou cinq Allemands que lui et son peloton avaient capturés. Nous avions un système de communication, appelé Tannoy, que les postes de tir et le poste de commandement utilisaient pour communiquer entre eux.

Le Sgt Humble nous confia les prisonniers, à Don Bulloch et à moi. Il nous a dit de cesser d’utiliser le système Tannoy, car les Allemands qui s’approchaient pouvaient entendre le son des voix qui sortait des haut-parleurs. Le Lt Ross m’a demandé de rester derrière pour prendre en charge le poste de commandement pendant qu’il retournerait à Otterloo pour obtenir de l’aide. C’était le début d’une nuit qui allait être très violente. Don Bulloch et moi nous retrouvions ainsi dans un petit poste de commandement bien à l’étroit, avec cinq ou six prisonniers qui, excités à la vue de nos insignes d’épaule, ont commencé à nous parler en italien en nous disant qu’ils revenaient tout juste de l’Italie. Nous avons nié être allés en Italie, mais nos visages basanés nous trahissaient.

Dans les minutes qui suivirent, un des membres du peloton du Sgt Humbles s’amena avec un autre prisonnier. Les prisonniers que nous détenions étaient fous de joie à la vue de ce dernier captif, un caporal allemand. Ce caporal disait qu’il pouvait parler français et je lui ai alors dit que je le parlais aussi un peu. Je pensais pouvoir amener ce caporal à convaincre ses camarades de se rendre. Je l’ai saisi par le collet et l’ai sorti par la porte pour l’amener dans l’autre pièce de la maison, où se trouvaient quelques-uns des nôtres. Au moment où nous entrions dans la pièce, un Allemand est passé en courant et tira une rafale de balles d’arme portative à travers le mur et la vitre. J’ai oublié sur-le-champ tout ce que je pouvais savoir de français. J’étais couché sur le sol, retenant le caporal avec mon bras, et je ne pensais qu’à sortir de cette pièce pour le ramener dans l’autre, où se trouvaient Don Bulloch et le reste des prisonniers.

En moins de deux, une autre rafale de balles passa au-dessus de nos têtes pour atteindre l’autre pièce. Je m’étirai pour arracher les fils électriques de la batterie qui alimentait la lumière qui nous éclairait. Don et moi avons fait allonger les prisonniers sur le sol et nous étions étendus sur eux. J’ai brandi mon pistolet en l’agitant dans leur direction et leur ai ordonné de ne pas bouger. Tom Coll et Ken Nicolson ont tous deux été atteints par des balles. Tom, aux fesses, et Ken, à l’abdomen. Vic Bennet, un spécialiste des transmissions des plus calmes et adroits, s’occupa immédiatement de panser les blessures de Tom et Ken.

Le Lt Ross était revenu bredouille et il nous a fait déplacer les prisonniers à l’extérieur, dans un endroit à proximité de ma tranchée. Le Lt Ross a confié la garde des prisonniers au Sgt Humble et à un autre garde. Il nous a ensuite demandé, à moi et à Don, de récupérer du poste de commandement tous les codes qu’on pouvait y trouver, ce que Don fit. Le Lt Ross est ensuite retourné au village pour exiger de l’aide, ou à tout le moins un char d’assaut. Don rejoignit les autres dans la maison et je suis donc demeuré dehors à faire guet. Pendant que j’étais à l’extérieur, Ken Nicolson m’a interpellé en me disant : « Sergent-major, pouvez-vous m’amener à un poste de secours ? », ce à quoi j’ai répondu : « Sois patient Ken, le Lt Ross devrait être de retour sous peu avec de l’aide et nous allons t’y amener ».

Le temps semblait s’être arrêté alors que le poste de commandement de la batterie était la proie des flammes et que nous étions soumis à un tir nourri d’armes portatives venant essentiellement de notre côté avant droit, mais également un peu de l’arrière. J’ai parlé à Fred Lockhart, je crois, qui était dans la pièce avec les autres, et je lui ai demandé comment se portait Ken Nicolson. Il m’a répondu que Ken était mort. Fred est sorti de la maison pour venir m’aider à faire le guet de côté de la maison. Nous étions recroquevillés à la porte du poste de commandement évacué, demeurant aux aguets, lorsque nous entendirent le bruit de pas venant du côté de la maison. « Tedeski », nous sommes nous dits en chuchotant et avons alors vu un soldat allemand sortir de la noirceur. Fred et moi avons bondi sur lui et Fred, prenant son fusil, et moi, mon revolver, nous lui avons placé notre arme sur le corps en lui disant : « Nix shuuten nix pistola camardie ou kamerad » et le mot « Canadesi ». J’ai fouillé les poches de notre prisonnier tandis que Fred le surveillait. Tout ce que j’ai trouvé, c’était des balles de revolver, que j’ai jetées sur le sol en disant : « Nix pistola? » Nous avons ramené le type rejoindre les autres détenus gardés par le Sgt Humble. Peu après, le Lt Ross est arrivé avec quelques soldats des blindés du GGHG qui ont pris en charge les prisonniers pour les ramener à Otterloo.

La nuit tournait au cauchemar et il était difficile de croire que cela nous arrivait à nous tous ici, aux abords d’un petit village hollandais. Les maisons flambaient, tout comme les véhicules, et on entendait le crépitement des armes portatives entremêlé d’explosions d’obus de mortier. Au bout du compte, pas exactement une petite soirée tranquille. Après que les soldats du GGHG eurent pris charge de nos prisonniers, le Lt Ross a indiqué qu’il retournait au village pour voir s’il ne pourrait pas obtenir de l’aide cette fois-ci. Le Lieutenant a mentionné qu’il pensait pouvoir obtenir un char lors de son dernier trajet périlleux au village. Il avait indiqué qu’il marcherait devant un char pour le guider jusqu’au secteur où se trouvait la troupe Fox. Un sergent de blindé avait alors répondu qu’il ferait démarrer son char et suivrait Ross. Cependant, l’officier du GGHG a refusé, estimant qu’il était trop dangereux pour le char et le détachement de se diriger à travers champs jusqu’à l’emplacement de la troupe Fox sans bénéficier de l’appui d’une section d’infanterie placée devant pour contrer les Allemands et leurs Panzerfaust qui attendraient le char pour le détruire. Permission refusée. Le Lt Ross disait maintenant qu’il allait tenter de nouveau sa chance et je suis demeuré à la maison pour en protéger le côté gauche, pensant que le caporal du Irish Regiment et ses deux hommes étaient du côté droit, avec nos soldats, aux fenêtres de notre poste de commandement.

Après les deux explosions d’obus de mortier et la capture des premiers prisonniers par le Sgt Humble, le Lt Ross a contacté notre poste de commandement de batterie et signalé le nombre d’Allemands qu’il pensait pouvoir entendre s’approcher. Le poste de commandement de batterie essuyait un feu nourri de l’infanterie allemande et il a donc ajouté les données du Lt Ross à ses propres chiffres pour signaler à l’état-major régimentaire l’accroissement des effectifs ennemis. C’est là que les choses ont vraiment mal tourné. Nous avions un nouveau major comme nouveau commandant adjoint. Ce type avait plus d’ancienneté que le Major Brooks qui détenait le poste jusqu’à il y a deux mois et je ne sais trop quelle expérience de combat il possédait. Il a divisé par dix les chiffres qui lui ont été soumis et donc n’a prévu aucun renforcement ou aucun plan pour contrer l’attaque.

Je suis maintenant seul du côté gauche de la maison et j’ai sursauté lorsque j’ai entendu quelqu’un approcher par derrière. Ce quelqu’un s’adonnait à être le caporal du Irish Regiment et il m’a dit : « Sergent-major, nous sommes vraiment dans une situation précaire. Qu’est-ce que vous et le reste de vos camarades allez faire pour vous sortir d’ici? » Il a poursuivi en m’indiquant que les Allemands avançaient sur la route Apeldoorn-Otterloo à sa droite, et sur la piste devant notre maison, où il pouvait entendre les Allemands parler lors de leur passage. J’ai demandé au caporal où se trouvaient les deux fantassins qui étaient avec lui. Il a répondu qu’ils avaient quitté depuis un certain temps pour retourner au village. Le caporal et moi-même sommes partis vers la position de tir du Sgt Humble lorsque nous nous sommes arrêtés, nous apercevant tous deux en même temps que nous marchions derrière un groupe de huit ou dix soldats allemands en train de tirer une mitraillette lourde Maxim sur roues.

Nous nous sommes immédiatement précipités dans ma tranchée de tir et j’ai demandé : « Allons-nous les attaquer? », ce à quoi le caporal a rétorqué : « Pas avec seulement votre revolver », n’ayant lui-même qu’un demi-chargeur pour sa mitraillette Thompson. Il décida alors de tenter de rejoindre la compagnie. Il bondit donc sur les pieds, se mit à courir vers la droite des Allemands et disparut dans la nuit. Lorsqu’il a commencé à courir vers l’arrière, je pouvais voir se lever un léger nuage de poussière se soulever à chaque pas et je m’attendais à ce que les Allemands le descendent. Je suis maintenant seul dans ma tranchée et ils n’ont pas tiré sur le caporal. Ne pouvant rester sur place, je me suis donc élancé derrière les Allemands qui remorquaient le fusil mitrailleur. J’ai grommelé un « donne-leur en plein la gueule Nels! », et couru vers la droite, jusqu’à la position de tir de Pop Barkwell. Je n’ai pas donné de mot de passe, me contentant de crier « c’est moi, Gordie! » et je me suis lancé dans la tranchée où étaient Pop et son peloton. Je l’ai informé du groupe qui se dirigeait vers la position de Nels Humble. J’ai bondi hors de la tranchée pour aller jusqu’au canon de Smiler Johnson, puis plus loin, jusqu’à celui de Darcy Spencer. En tout, j’avais parcouru une distance d’au moins soixante verges.
Darcy voulait immédiatement prendre sa mitrailleuse Bren pour aller prêter main forte à Nels et son peloton. Je m’y suis opposé, car nous n’avions pas entendu le groupe de Nels ouvrir le feu contre les Allemands et que Darcy et son peloton seraient probablement confondus avec l’ennemi. Pourquoi n’ont-ils pas tiré sur le caporal qui s’enfuyait? Ne m’ont-ils pas entendu crier à chaque position de tir? Je ne le saurai jamais, mais ce groupe qui remorquait la mitrailleuse ne devait pas savoir ce qui se passait, ou s’était arrêté pour décider de son plan d’attaque contre les canons. Darcy, son peloton et moi-même avons entendu peu après l’appel du mot de passe par certains de nos artilleurs, suivi quelques secondes plus tard par des rafales de fusils et de mitraillettes et des cris qui résonnaient dans la nuit et se sont poursuivis pendant un bon bout de temps. La violence de la nuit ne faisait que s’intensifier.

Tout juste après minuit, dans la nuit du 16 au 17 avril 1945. Jusqu’à maintenant, il ne semblait pas y avoir de fin à cette bataille qui rageait du côté avant droit et dans le village derrière nous. Je suis encore dans une tranchée avec le peloton du Sgt Darcy Spencer. Darcy s’était servi de son gros bon sens en faisant creuser toutes ses tranchées, sauf une, devant le canon. C’était quelque peu inusité, mais ce fut une bonne décision, car il avait ainsi une vue inobstruée de tout le secteur situé devant lui. J’étais depuis peu de temps avec le peloton lorsque le Lt Alex Ross arriva en courant dans le secteur pour nous demander si nous avions besoin de plus de chargeurs de mitraillette Thompson. Je lui ai répondu que nous n’en n’avions pas besoin. Il m’a ensuite dit : « Vous êtes ici sergent-major? Qu’est-il advenu des signaleurs et des autres au poste de commandement? » Je lui ai répondu qu’ils s’en tireraient bien, car le Sgt Copithorn était avec eux, et qu’avec son expérience, il les sortirait de là.

Le Lt Alex Ross nous avait quittés pour aller porter des munitions aux autres positions de tir lorsque dans le lointain, j’ai pu deviner des ordres de tir de mortiers venant du village. J’ai alors dit au Sgt Spencer : « C’est notre ami Tommy Fluck, du Irish Regiment ». Et d’après les coordonnées qu’il donnait, les obus allaient nous tomber directement sur la tête. Nous nous sommes accroupis. Je n’avais pas mon casque, mais Darcy en avait un de rechange et je l’ai donc enfilé. Lorsque le Sgt Fluck a crié « feu! », nous savions à quoi nous en tenir. Une pluie d’obus s’est abattue autour des trois autres positions de tir de la troupe. Le Lt Ross venait à peine d’arriver à la position du Sgt Johnson lorsque les obus ont touché le sol. Une courroie entourant un sac de couchage fut sectionnée par les éclats d’obus et la courroie s’est enroulée autour du cou du Lt Ross.

Peu après les tirs de mortier, une mitrailleuse située à l’arrière gauche de la position du Sgt Spencer ouvrit le feu sur nous. Spencer saisit la mitrailleuse en disant : « Je vais dégommer l’enfant de chienne qui se trouve derrière cette fenêtre! » Je l’ai retenu car, vu la cadence de tir, il s’agissait d’un Browning ou d’une Vickers, et je l’ai empêché de riposter. La mitrailleuse a sans doute tiré au moins deux cents balles contre le canon et l’avant-train à munitions du Sgt Spencer. Les balles avaient déchiqueté les viseurs du canon et ricoché sur le tube pour aboutir dans la tranchée où nous étions réfugiés. Au milieu des terrifiantes rafales de cette mitrailleuse, nous avons entendu un sifflement. Le Sgt Spencer me dit alors : « L’avant-train à munitions va exploser et c’est toi ou moi, Gordie, qui allons l’en empêcher », ce à quoi j’ai rétorqué : « Il n’y a pas de feu, ni de fumée; attendons que cette rafale prenne fin. » L’avant-train ne s’était pas enflammé et à la lumière du jour, nous avons pu constater qu’une cinquantaine de balles avaient atteint le garde-boue et le pneu de l’avant-train.

Le Sgt Luzney, artiste du « Maple Leaf », a peint un tableau illustrant l’éprouvante nuit d’Otterloo.

Nous pouvions encore entendre des gémissements venant de l’extrême droite, et il s’est avéré qu’il s’agissait de blessés allemands à la position de tir du Sgt Pop Barkwell. Les signaleurs et les artilleurs ont passé en courant tout juste devant notre position. Spencer et moi leur avons demandé : « Êtes-vous tous sortis de là? » Ils ont répondu que oui et ont poursuivi leur chemin vers le village. Ils avaient quitté le poste de commandement lorsque les Allemands se sont pointés et ont tiré sur eux à travers les fenêtres. La riposte avait échoué lorsque le fusil eut un raté et ils se sont donc enfuis par la fenêtre située de l’autre côté. Fred Lockhart devait me dire plus tard que lorsqu’ils sont tous sortis par la fenêtre, ils avaient oublié la mitrailleuse Bren et que lui-même (un jeune homme pas nerveux) était retourné dans la maison par la fenêtre pour en ressortir avec la mitrailleuse et des chargeurs et rejoindre les autres alors qu’ils quittaient le secteur.

Deux Allemands ont mis le feu au camion du Irish Regiment qui se trouvait à notre poste de commandement. Le feu éclaira tout le secteur et fit exploser les munitions et le carburant que le camion contenait. On entendait énormément de tirs et de cris provenant du village. Pendant ce temps, sur la route Apeldoorn-Otterloo située sur notre flanc droit, les Allemands marchaient accompagnés de charrettes tirées par des chevaux et, avec les feux qui les éclairaient, nous pouvions les voir très distinctement. Deux de ces « tedeskis » s’arrêtèrent pour tenter de mettre le feu à un avant-train de munitions près de notre poste de commandement, mais ils ont échoué. C’était une nuit assez terrifiante.

Cette longue nuit s’est poursuivie sans autre attaque allemande contre nos canons. À la position de tir du sergent Spencer, certains d’entre nous ont fermé l’oeil pour quelques instants. L’artilleur Straub s’est réveillé en criant : « Ces bâtards ne m’auront pas! », et il s’est mis immédiatement à tirer sur le buisson devant nous. Tout s’est déroulé si rapidement et il semblait ne jamais s’être vraiment réveillé, car il sombra aussitôt dans un profond sommeil, comme si de rien n’était. Le jour s’est levé et nous pouvions voir les lance-flammes Wasp du Irish Regiment nettoyer les troupes allemandes des fossés bordant la route Otterloo-Apeldoorn.

Le jet des lance-flammes débusqua les Allemands qui, l’uniforme en feu, couraient en criant pour s’enfuir le plus rapidement possible. Nous avons appris plus tard que l’artilleur Iverson se trouvait avec les Allemands dans les fossés. Il avait été capturé et gardé prisonnier par les Allemands toute la nuit. Ses gardes lui avaient retiré ses bas et ses chaussures et l’avaient informé que s’ils devaient être défaits, ils ne replieraient pas en l’amenant avec eux. Autrement dit, ils le descendraient! Lorsque le jet de flammes atteignit le fossé, Iverson a reçu des brûlures au troisième degré aux mains, mais étant un jeune homme coriace, il saisit le pistolet de l’un des Allemands et informa deux d’entre eux qu’ils étaient maintenant ses prisonniers

Après que les lance-flammes Wasp eurent quitté la route, nous avons vu un char Churchill du Royal Engineer s’avancer derrière nos canons. Il commença à tirer de toutes ses mitrailleuses sur le buisson qui se trouvait devant nous. Il s’immobilisa ensuite près de l’une de nos positions de tir et un de ses membres d’équipage chargea une grosse bombe dans le lanceur surmontant le char. Il s’agissait de ce qu’on appelle un pétard. Une fois chargée, la bombe fut tirée sur le buisson. Nous avons pu voir cette bombe massive projetée dans les airs et aller frapper le sol et exploser près de notre poste de commandement. L’artilleur Kahgee nous a montré une lacération sur sa gorge, résultat du tir d’un tireur d’élite allemand qui lui avait lacéré ou brûlé la peau sur la gorge. Il l’avait échappé belle. Le Sgt Spencer et moi avons quitté notre tranchée pour aller voir comment se portaient les autres pelotons de tir. À la première position de tir, celle du Sgt Johnson, tous étaient sains et saufs et ils avaient évité l’attaque. Il y avait également là le Lt Alex Ross, qui avait passé la dernière partie de la nuit avec ce peloton. Le Lt Alex Ross s’était rendu trois fois au village pour tenter d’obtenir l’aide de l’infanterie ou un char, mais en vain. Ces excursions étaient très périlleuses car il a dû se faufiler à travers les troupes allemandes qui avançaient sur le village. Le Lt Ross a démontré beaucoup de bravoure.

Du poste de Johnson, nous nous sommes rendus à la position de tir du Sgt Barkwell, où se présentait devant nous une scène de soldats allemands tués ou blessés qui gisaient ça et là tout autour des tranchées du peloton. Nous pouvions imaginer toute l’horreur des événements sur le visage encrassé, la moustache empoussiérée et les traits tirés de Pop Barkwell, un véritable enfer. Pop Barkwell était vers la fin de la trentaine ou pouvait même avoir quarante ans. Nous devions apprendre plus tard dans la journée l’héroïque résistance qu’ils avaient affichée la nuit précédente. Lorsque les Allemands ont attaqué le peloton de Pop Barkwell, Pop s’est lancé sur eux, les martelant avec ses poings. Pop et ses hommes ont combattu les Allemands jusqu’à ce qu’ils les arrêtent. Le Sgt suppléant Bill Velestuk et l’artilleur ont chacun tiré deux attaquants à environ un pied de distance.

Le peloton de Pop avait creusé des tranchées d’environ un pied de profondeur. Velestuk et McNeil étaient couchés sur le dos et les attaquants s’approchaient d’eux en rampant. Au moindre signe de mouvement ou lorsque qu’ils distinguaient leur silhouette, Velestuk et McNeil les tiraient à bout portant, et ils ont tué ainsi quatre Allemands. On pouvait voir quelques autres cadavres près de ces quatre soldats. Près d’eux gisaient deux Allemands blessés plus tôt dans la nuit; ils étaient encore vivants, mais en piteux état. Le char Churchill tirait encore sur le buisson lorsqu’il en surgit un soldat allemand agitant un drapeau de la Croix-Rouge. C’était un infirmier. Nous l’avons laissé venir à nous. Il semblait très nerveux et nous lui avons donné de l’eau et une cigarette. Il s’est ensuite occupé de soigner les Allemands blessés pour tenter de soulager leurs souffrances.

Nous sommes ensuite allés à la position du Sgt Humble, où tous étaient sains et saufs. Ils avaient également connu une nuit assez mouvementée. Ils avaient fait la capture initiale de l’ennemi plus tôt dans la nuit. À ce moment-ci, nous avions vérifié la situation des pelotons de tir, mais n’étions pas allés au stationnement à l’arrière pour voir ce qu’il en était de nos chauffeurs et des véhicules. Nous avions de bonnes raisons de nous inquiéter.

Nous savions que nous avions perdu Ken Nicolson, qui était mort dans la maison qui abritait notre poste de commandement. Tom Coll y avait été blessé, mais il s’était enfui vers l’arrière et à ce moment-là, tous les artilleurs avaient miraculeusement été épargnés, seul Kahgee ayant été effleuré à la gorge par une balle franc-tireur. Darcy Spencer et moi sommes allés vers l’arrière et avons marché rapidement jusqu’au stationnement. En arrivant là, nous n’avons trouvé personne. Quelques véhicules avaient été brûlés, mais on n’a trouvé aucune trace du Bdr Wells, ni des chauffeurs. Il a dû y avoir un farouche combat autour des véhicules, à en juger par le nombre de douilles de balles jonchant le sol, les pneus crevés et la présence d’un cadavre de soldat dans un fossé voisin.

Darcy et moi étions assez déprimés. Où étaient nos camarades? C’est à ce moment-là qu’apparurent les artilleurs Clarence Cawkwell et Agnew. À leur aspect, on pouvait voir qu’ils avaient passé une nuit terrible. Agnew ne portait qu’une paire de chaussettes et un paletot de civil. Cawkwell avait été légèrement blessé, mais pas évacué. Ils nous ont informés qu’ils s’étaient rendus aux postes de secours et n’avaient pu découvrir ce qu’il était advenu de la plupart des chauffeurs. Agnew, le visage en larmes, nous a dit qu’ils n’avaient pu trouver Jockie McMillan.

Nous savions maintenant que la plupart des chauffeurs avaient survécu. Darcy et moi avons poursuivi nos vérifications auprès des postes de secours et découvert que sept de nos chauffeurs avaient été amenés à l’hôpital. Nous sommes ensuite allés à d’autres postes d’évacuation sanitaire et avons découvert que pour l’instant, seul Jockie McMillan manquait à l’appel. Darcy Spencer et moi sommes ensuite allés à l’état-major tactique, où se trouvait notre major Crown. Nous lui avons fait notre compte rendu et il nous a immédiatement versé une bonne rasade de rhum en nous disant : « Bon, dites-moi maintenant comment la troupe Fox s’en est tirée la nuit dernière. » Je lui ai répondu que pour l’instant, nous comptions un mort et environ quatorze blessés, et que Jockie McMillan manquait à l’appel. Il m’a alors demandé si nous avions tué des Allemands? Je lui ai répondu que nous avions capturé une dizaine d’Allemands et tué et blessé une dizaine de plus. Son visage changea d’expression à ce moment-là et il me dit : « Sergent-major, avez-vous laissé des blessés allemands à la position de tir? » Je lui ai répondu : « Oui, Monsieur ». Ce à quoi il rétorqua : « Vous auriez dû les descendre ». Je me suis levé et lui ai répliqué : « Monsieur, cela aurait été un meurtre étant donné que nous ne savions pas qui allait l’emporter la nuit dernière, et tirer sur des prisonniers ne fait pas partie de mes moeurs ».

Il radoucit alors le ton et Darcy et moi l’avons quitté pour aller nous enquérir au sujet de Jockie au poste de secours suivant. Rendus là, nous avons aperçu sur un banc un petit visage avec le nez tout enrubanné de bandages. Nous avions trouvé Jockie, à notre grand soulagement. J’ai marché jusqu’à lui et lui ai asséné une grande claque sur l’épaule en lui disant : « Est-ce le seul endroit où tu as trouvé le moyen d’être blessé? » Le visage de Jockie s’épanouit à ce moment-là, nous avons échangé une poignée de mains et il m’a dit : « Je suis bien content de te voir Gordie ». Et je lui ai répondu : « Je suis bien content de te voir Jockie. Soigne-toi bien et reviens-nous sous peu. » Jockie nous a alors raconté qu’il était couché à plat ventre derrière un pneu de remorque de canon lorsqu’il a aperçu un gros Allemand qui s’avançait vers lui avec une mitraillette. Il s’est alors reculé, mais l’Allemand a tiré à travers le pneu, lui amputant le bout du nez.

Tous les chauffeurs ayant été retrouvés, nous avons rebroussé chemin pour revenir à la troupe Fox et faire rapport au Lt Alex Ross. Sur la route du retour, nous avons rencontré un gros contingent du Irish Regiment et, debout dans ce qui me semblait être une grosse voiture blindée, j’ai pu voir notre commandant divisionnaire, le major-général Hoffmeister. Il s’adressait au groupe du Irish Regiment. Il les félicitait pour le combat héroïque qu’ils avaient livré la nuit dernière et pour la performance de tout le personnel. Il les a remerciés de l’excellent travail qu’ils avaient accompli. Un major du régiment a pris la parole pour dire que ce n’était pas eux qui avaient dérouté l’attaque allemande, mais plutôt ces sacrés artilleurs qui, ne sachant pas qu’il valait mieux fuir, sont restés là à combattre. Darcy et moi avions ensuite amené le général voir les artilleurs.

Le Sgt Spencer et moi juchés sur la voiture blindée du général Hoffmeister, nous avons suivi la rue d’Otterloo jusqu’à l’intersection d’Apeldoorn. C’est là que nos chauffeurs avaient mené leur vaillante résistance la nuit dernière. Après avoir viré à gauche, nous sommes arrivés à la position de tir de la troupe E. Le général Hoffmeister fit arrêter son véhicule, débarqua de la voiture et un groupe de la troupe E s’est alors dirigé vers lui pour lui parler. Immédiatement, le général a aperçu le cadavre d’un soldat allemand et a demandé qui l’avait descendu. Le Sgt Studs McQueen a répondu que c’était lui. Le général a ensuite félicité tout le groupe pour son combat de la nuit dernière. J’ai pensé que le moment était bien choisi pour lui signaler la conduite et le leadership exemplaires qu’avait affichés le Lt Alex Ross, notre officier de tir, la nuit dernière. Le général Hoffmeister voulut alors rencontrer le Lt Ross. Je suis donc allé au poste de commandement et trouvé le Lt Ross en train de remettre les choses en ordre, de tout nettoyer et de faire enlever le corps de Ken Nicolson. J’ai dit au Lt Ross que le général l’attendait en bordure de la route. Alex Ross m’a répondu qu’il n’avait pas de temps pour les généraux ce matin. Je n’ai pas répété au général ce qu’Alex Ross m’avait répondu, mais lui ai plutôt mentionné qu’il était actuellement le seul officier de la troupe et qu’il ne pouvait venir le voir pour l’instant, et qu’il désirait le remercier pour son intérêt. Cette réponse a semblé satisfaire le général, qui m’a demandé de transmettre ses remerciements à Alex Ross pour son excellent travail.

Le général Hoffmeister savait s’occuper de ses soldats. Il n’envoyait jamais de troupes s’engager dans un combat majeur sans d’abord avoir fait mener une reconnaissance en bonne et due forme du champ de bataille. Tous ceux qui ont servi sous les ordres du général Hoffmeister croyaient qu’il était véritablement le meilleur général de l’Armée canadienne. Dommage qu’il n’y en avait pas d’autres comme lui. De nombreuses vies auraient été épargnées durant la guerre si les autres commandants avaient mis en pratique l’expertise et les connaissances avec lesquelles Hoffmeister veillait à la sécurité et au bien-être des véritables combattants. Avant de quitter notre secteur, le général Hoffmeister a fait l’éloge de tout le personnel pour la lutte qu’il avait menée la nuit précédente. Au départ du général, le Capt Les Hand s’amena en véhicule et annonça qu’il y aurait des médailles à distribuer, ajoutant qu’il n’y en avait pas beaucoup. À ce moment-là, tous les sergents de la troupe Fox furent rassemblés tout près. Si les médailles étaient rares, nous allions tous donner notre appui au Lt Alex Ross et recommander de lui octroyer la Croix militaire pour son acte valeureux qui allait bien au-delà de ce qui est attendu d’un officier de tir. Alex Ross a effectivement obtenu la Croix militaire et il la méritait bien.

Don Bulloch, Alex Ross, Gordie Bannerman et Fred Lockhart retournent visiter Otterloo.

Peu de temps après Otterloo, Alex Ross et moi avons parlé des médailles et nous étions désolés du fait que ni le Sgt Humble, ni le Sgt Barkwell ou leurs pelotons n’avaient reçu de médailles. Ces deux pelotons d’artilleurs avaient mené un combat surhumain. Le bombardier Curly Wells et tous les chauffeurs de la troupe Fox dont il était chargé ont livré un farouche combat avant d’avoir à battre en retraite de l’autre côté du cimetière, sous le couvert du tir de protection des mitrailleuses du Irish Regiment. Curly et tous les membres de son peloton étaient blessés et il les a menés à travers la haie jusqu’au premier poste de secours. C’était là un bel exemple de leadership de la part d’un sous-officier subalterne. Nous regardons de nouveau les choses en rétrospective ici, car aucun d’entre nous, y compris Alex Ross, n’avait eu le temps de songer à des médailles ou des récompenses. Nous étions simplement heureux d’avoir survécu à cette nuit d’enfer. Les regrets et la tristesse que nous éprouvions en songeant à la perte de nos camarades artilleurs ne laissaient prise à aucune pensée que l’on aurait pu avoir à propos de l’obtention de récompenses.

Une fois le décompte fait, ce qui comprenait la nouvelle que l’artilleur Bill Bancescu avait succombé à ses blessures, nous nous retrouvions avec un total de douze blessés et deux morts. De ce nombre, il faut compter l’artilleur Kahgee, qui avait été effleuré par une balle et évacué. La troupe comptait 45 militaires de tous grades, de sorte nous avions essuyé les plus lourdes pertes du régiment, nos chauffeurs comptant pour le plus grand nombre de blessés.

Je n’avais eu aucune nouvelle à savoir comment Orme s’en était sorti la veille. À ce moment-là, Orme était sergent des transmissions à la 76e Batterie. Il aurait été au poste de commandement de la batterie la nuit dernière. Très tôt durant le combat, la maison du poste de commandement a été la proie des flammes. Elle se trouvait de notre côté avant droit, de l’autre côté de la route Otterloo-Apeldoorn. J’ai entendu des tirs nourris de fusils et de mitraillettes venant de ce secteur, puis ce fut le silence et on ne pouvait plus voir que les flammes, puis nous avons aperçu des soldats allemands marchant sur la route.

Nous sommes maintenant rendus le matin et je dois savoir ce qu’il est advenu d’Orme. J’ai donc quitté le secteur de la troupe Fox pour traverser la route et entrer dans le champ situé devant la maison qui avait été rasée. J’avais fait quelques pas à peine lorsque j’ai vu une silhouette qui s’approchait de moi. C’était Orme, qui était lui-même à ma recherche! Nous nous sommes rencontrés en disant : « Bon Dieu que je suis content de te voir! » Il avait entendu dire que j’avais été tué et devait s’en assurer. J’avais la même pensée, croyant qu’il avait été tué ou blessé. Ses prochaines paroles devaient être quelque chose comme : « Aimerais-tu une rasade de rhum? » « Mais où diable as-tu pu dénicher du rhum », lui ais-je répondu.

Orme et moi étions très contents d’avoir survécu à l’attaque de la nuit dernière. Orme m’a répondu que le combat devenant de plus en plus âpre et le poste de commandant étant en feu, on leur avait ordonné de battre en retraite jusqu’à la position de la troupe E. Juste avant de partir, Orme avait alors pensé au gallon de rhum qu’il avait vu dans ce camion. Il s’est donc précipité pour récupérer le rhum et l’a enfoui en vitesse dans une tranchée de tir. Il savait que nous serions de retour et que quelqu’un aurait besoin d’une bonne rasade de rhum. Au moment où Orme enfouissait le rhum, il a vu un groupe d’Allemands apparaître. Il m’a indiqué qu’il avait vidé sur eux la moitié d’un chargeur avant de battre en retraite vers la position de la troupe E.

Après avoir avalé quelques rasades de rhum, je suis retourné à la troupe Fox, où nous avons rassemblé toutes les armes et le fourniment des Allemands que l’on a pu trouver autour et les avons enfouis dans une tranchée à la position de tir de Pop Barkwell. Les Allemands avaient remorqué une mitrailleuse chargée avec une bande-chargeur à cinq ou six pieds de la position d’artillerie, mais ils étaient si rapprochés et le peloton de Barkwell de si bons tireurs qu’ils n’ont pu s’en servir. Elle s’est donc retrouvée dans la tranchée, enfouie avec le reste des armes.

Le canon du Sgt Spencer était hors d’usage. Le Sgt et certains des membres de son peloton sont alors partis avec l’avant-train pour se rendre auprès de l’équipe de dépannage, qui leur a indiqué où ils pouvaient obtenir un autre canon avec avant-train. Parmi les autres incidents survenus durant le combat, je dois mentionner le cas d’une batterie moyenne d’artillerie britannique qui, cherchant à abaisser suffisamment son angle de tir pour nous appuyer, a par inadvertance jeté par terre le clocher de l’église.

Le Sgt Eddy Knight, de la 60e Batterie, a reçu la DCM pour ses exploits cette nuit-là. Un énorme Allemand est tombé sur Eddy et son peloton et ce gros bonhomme s’était précipité sur lui pour le tuer. Mais Eddy, un ex-mineur de charbon assez costaud, se mit à étrangler le gros individu. Il y a eu un furieux corps à corps autour de la position d’artillerie, jusqu’à ce que l’artilleur Jim Cathcart place son fusil sous le bras d’Eddy et tire l’Allemand.

Durant la guerre, quiconque possédait une montre en bon état avait un bien précieux. La montre était transmise de sentinelle à sentinelle, et d’artilleur à artilleur. Ainsi, les équipes de quart se relayaient et le matin, la montre revenait toujours à son propriétaire. La nuit du 16 au 17 avril, la montre de Clarence Cawkwell était la seule de la section des chauffeurs de la troupe Fox. Au moment de l’attaque contre les chauffeurs, Bill Bancescu la portait à son poignet. Bill avait réveillé tous les chauffeurs avant que les Allemands n’atteignent le stationnement. Constatant qu’ils étaient moins nombreux et moins bien armés que l’adversaire, Bill amena un artilleur du nom de Feuillatre à l’écart du danger, un peu plus loin sur la route. C’est alors qu’un obus de mortier tomba dans le fossé situé du côté de Bill et le cribla d’éclats d’obus. En s’écroulant sur le sol, ses dernières paroles furent de demander à Feuillatre de s’assurer de retourner la montre à Cawkwell. Bill a succombé au poste de secours. Clarence Cawkwell a encore cette montre aujourd’hui et il la porte tous les jours.

Bill Lloyd, sergent-major de la 76e Batterie, et un jeune artilleur suivaient la route pour se rendre au poste de commandement régimentaire lorsqu’ils ont entendu le déclic d’un fusil qu’on armait, puis quelqu’un s’adresser à eux en allemand. L’artilleur allait s’enfuir en courant, mais Bill le retint d’une main tandis qu’il tenait son revolver de l’autre. Bill s’est avancé vers le soldat allemand dans la tranchée. Il était alors pratiquement au-dessus de lui. Il fit voler le fusil d’un coup de pied et saisit le fantassin allemand par le chignon du cou. Le jeune artilleur qui accompagnait Bill m’a dit plus tard que personne n’osera lui dire que le Sergent-major n’a pas de cran ou, comme on le dit, « des nerfs d’acier ».

Lorsque le Sgt Darcy Spencer et moi avons visité les postes de secours et consulté leurs registres pour vérifier s’ils n’avaient pas de nos blessés, nous sommes passés à côté de l’enclos où étaient détenus les soldats faits prisonniers la veille. Deux prisonniers que Don Bulloch et moi gardions au poste de commandement le soir d’avant regardaient à l’extérieur du grillage et m’ont fait signe qu’ils se souvenaient de m’avoir vu la veille. Je ne sais trop ce qu’ils voulaient me dire par leurs signes, qui sait? C’était peut-être pour me remercier de ne pas les avoir battus ou tués. Les Allemands avaient avec eux quelques chiens et Toby Colpitts, de la 60e Batterie, en adopta un, un gros doberman qui ne se laissait absolument pas flatter ou approcher par quelque civil que ce soit. Toby avait obtenu les autorisations nécessaires pour le ramener au Canada, mais des civils hollandais le lui ont volé quelques jours avant que Toby ne retourne au pays.

Bill Strickland, de la troupe E, suivait l’artilleur Vogt et lorsque ce dernier tourna le coin du bâtiment, un mitrailleur allemand le faucha d’une rafale qui le tua sur-le-champ. Strickland enjamba le corps de Vogt et, malgré la pluie de balles dirigée contre lui, il posa sa mitrailleuse Bren sur le capot d’un véhicule. Les témoins présents ont raconté que le mitrailleur tirait sur Strickland et que les balles traceuses lui passaient près de la tête. Strickland a riposté et n’a cessé de tirer qu’une fois l’artilleur allemand abattu.

Les cuisiniers de la troupe E avaient passé la nuit dans une fosse, dissimulés sous un tas de fumier, sans être décelés par les Allemands qui leur marchaient et leur couraient dessus. Le jour venu, les cuisiniers sont sortis de leur abri pour allumer leurs réchauds et préparer aussitôt le petit déjeuner.

Darcy Spencer et moi avons vu des scènes assez horrifiantes lorsque nous étions à la recherche de nos blessés. La rue principale d’Otterloo était jonchée de cadavres allemands, dont certains n’étaient pas beaux à voir. À ce moment-là, nous étions assez insensibilisés à la mort et n’étions pas plus émus par la scène que s’il s’agissait de cadavres d’animaux morts dans la rue.

Bob Anderson, chauffeur de char d’assaut du Capt Don Pyper, se trouvait à une intersection aux abords d’Otterloo. Un officier des blindés du GGHG chargea le Capt Pyper de couvrir un secteur particulier, car il y avait apparemment des chars Tiger qui approchaient. Le Capt Pyper informa l’officier qu’il n’allait certainement pas abattre un Tiger avec un canon de bois, car son véhicule était un char d’observation. J’avais recueilli une magnifique mitraillette Beretta en Italie, sur la ligne Hitler. Elle n’avait par de chargeur, mais Bob a limé un chargeur de Schmeisser pour l’adapter à la mitraillette. Cette nuit-là, il avait remis sa Beretta à Mike Propopenko en échange de son revolver, car la Beretta était trop encombrante pour le conducteur de char. À la lueur des incendies d’immeubles, Mike vit passer une silhouette passer en courant et se réfugier sous un camion. Mike a raconté qu’il avait dit le mot de passe, mais sans obtenir de réponse. Il a donc tiré une rafale de sa Beretta. Malheureusement, il avait atteint l’artilleur Bob Bates aux jambes. Bates a pris le chemin de l’hôpital tandis que la Beretta a apparemment pris celui des buissons pour ne plus jamais servir ensuite ou même être conservée comme souvenir. C’est bien malheureux, car c’était une magnifique arme automatique.

La guerre se poursuivait toujours. Les deux autres batteries sont parties vers l’avant, mais la 76e Batterie avait besoin d’autres véhicules de transport ou de quelque chose d’autre, et nous sommes donc demeurés sur place jusqu’au 18. Lorsque nous nous sommes mis en branle, Orme et moi faisions partie du détachement précurseur et, une fois rendu à la nouvelle position de tir, j’ai eu l’occasion de lui parler et de lui montrer mon adresse avec le revolver que le Capt David Armour m’avait prêté. Il s’agissait d’un revolver automatique Espano de 9mm qui ressemblait à un Colt. Nous avons donc monté une cible et je lui ai dit « Regarde bien! » J’ai alors tiré et la balle a atteint la cible en plein dans le mille. Mais c’est à ce moment-là, selon ce que Orme m’a dit, que je suis resté bouche bée, car je tirais une balle et le revolver s’enrayait, puis j’en tirais une autre, et c’était la même histoire. Dire que j’avais suggéré au caporal du Irish il y a quelques jours que nous pouvions nous attaquer à la section de soldats allemands qui remorquait le canon Maxim. Encore une chance que nous nous en sommes abstenus. Ce revolver avait besoin de maintenance. J’ai joint certaines photos des environs d’Otterloo prises en 1984.

En souvenir de ceux qui étaient membres de la troupe F et mes camarades artilleurs, voici la liste des membres de la troupe qui ont perdu la vie ou ont été blessés.

Morts :
L35313 Artil Bill Bancescu
H9398 Artil Ken Nicolson

Blessés :
L35333 Artil Clarence Cawkwell
K46811 Artil Tom Coll
G19819 Artil Art Hamilton
B98175 Artil H Kahgee
L35172 Artil Jockie Mcmillan
D57905 Artil P Bourdon
B161844 Artil E Jones
H101862 Artil J.A. Rose
M103359 Artil Sawyshn N J
L35139 Bdr (Curly) J.D. Wells

Le cimetière d’Otterloo en 1984.

La marche jusqu’à l’Ijsselmeer, en Hollande, à compter du 18 avril. Après Otterloo, nous avons poursuivi notre poussée vers l’Ijsselmeer en passant à travers les villes qui se trouvaient sur notre passage ou en les contournant. Barneveld était l’une d’elle, mais nous n’avons participé à aucune des célébrations de la libération, car nous étions en plein déplacement. Les Allemands, battant en retraite, essayaient de ne pas se laisser rattraper par nos blindés. Nous avons passé une nuit à Ermelo, où nous avons monté nos canons dans les champs voisins.

Après avoir établi les positions de mitrailleuses et nous être assurés que nous avions nos fusils et nos autres armes portatives à portée de la main, ceux qui n’étaient pas de faction se sont couchés. Peu après nous être couchés, nous avons entendu quelques rafales de mitrailleuse briser le silence de la nuit. Tous se préparaient à revivre Otterloo, mais il s’agissait simplement d’une poignée d’Allemands qui étaient tombés sur nous dans la noirceur de la nuit et qui ne demandaient pas mieux que de poursuivre leur fuite vers l’Est de la Hollande.

J’étais installé dans une petite remise avec deux autres gars, dont le sergent-major de la troupe E, Paul Shkwarek. Voici la façon dont nous étions étendus pour dormir. Paul et l’autre type avaient la tête du côté de la porte et j’avais mon sac de couchage entre eux, les pieds du côté de la porte. Peu après la rafale de mitraillette, nous avons été réveillés par le bruit de pas qui s’approchaient de notre petite remise. Paul a alors dit : « Gordie, tu es le plus près de la porte [Je ne l’ai jamais compris celle-là], donc tu t’occupes de la ou des personnes qui traversent la cour de gravier. »

Notre char d’observation des troupes. Les artilleurs assis sur le char sont Parker, Wade et Booth.

Dans le noir, je pouvais deviner ce qui se passait et visualiser une main s’avancer pour ouvrir la porte. La main prit la poignée et d’un seul geste, j’ai enfoncé mon revolver dans l’estomac d’un ouvrier agricole très effrayé lorsqu’il ouvrit la porte. Je n’ai pas tiré et je me suis aperçu qu’il s’agissait d’un handicapé mental qui nous avait amenés à la remise avant la noirceur. J’ai hurlé après lui et un fermier hollandais est venu le chercher.

Le reste de la nuit s’est déroulé sans histoire, puis on nous a annoncé que nos troupes avancées étaient entrées dans Harderwijk. C’était là que notre division devait faire halte et se regrouper, car la région à l’est de nous n’était pas nettoyée, mais le serait bientôt. Le 21 avril, nous nous sommes rendus à Leeuwarden, dans la région de la Frise, où nous avons été chargés de tenir les positions le long de la côte.

Notre régiment était réparti le long d’un grand terrain en bordure de l’eau, nos canons pointant vers la mer. Nous n’avons tiré aucun obus durant les quelques jours passés là. C’était le calme plat. Je me souviens que les journées étaient très brumeuses. Le brouillard le levait, créant une atmosphère de tranquillité où le moindre bruit de voiture ou bruit de conversations était amplifié par la brume. Les résidents étaient assez désintéressés par notre présence.

À ce moment-là, nous espérions que la guerre allait bientôt prendre fin, mais le 25 avril, le régiment avança dans le secteur de Wagenborgen. La troupe Fox s’est installée en pleine ville. Wagenborgen n’est pas loin de l’estuaire de l’Ems qui sépare la Hollande de l’Allemagne. Ce secteur de la région Nord-Est de la Hollande comprenait un grand nombre de troupes allemandes, en plus d’une imposante artillerie lourde, tout particulièrement le massif emplacement de canons de Termunterzijl. Il était important de s’emparer du port de Delfzil, et si possible, intact. À Wagenborgen, nous résidions dans des maisons abandonnées par les Hollandais. Nous avons appris que, plus tôt, quelque temps auparavant, un peloton du Canadian Scottish Regiment avait été victime d’une bombe pendant qu’il était à l’intérieur d’une maison située sur notre rue, mais qu’il s’était vengé en faisant subir la même médecine à un peloton allemand.

Alors qu’il s’avançait le long d’une digue, le Irish Regiment est tombé sur une magnifique jeep. Et évidemment, on est bien en droit de s’accaparer d’une jeep laissée à l’abandon. Mais il semblait y avoir anguille sous roche. On a donc délicatement passé une corde autour du pare-chocs arrière, puis deux des soldats placés à distance de sécurité ont tiré sur la corde. Dès le premier mouvement, la jeep explosa. Elle avait bel et bien été piégée. Le Capt Pyper a reçu la Croix militaire, et l’artilleur Fehr, la Médaille militaire, pour leur acte de bravoure et pour avoir posé un geste qui allait au-delà de ce qui pouvait être normalement attendu d’eux.
 
Nous avons effectué beaucoup de bombardements pour soutenir les Westminsters et notre 11e Brigade. Durant une période de pilonnage intensif, nos officiers d’observation nous ont signalé que deux chevaux dans un champ, dès qu’ils entendaient les gros obus frapper le sol, partaient se réfugier en marchant ou en courant dans les cratères creusés par les bombes.

Il y avait beaucoup de fusils et d’autres équipements allemands abandonnés qui jonchaient le terrain. Profitant de la situation, nous avons retiré la roquette d’un Panzerfaust pour ensuite attacher le lance-roquettes d’infanterie à un piquet et tirer sur sa gâchette, ce qui déclencha un énorme jet de flammes accompagné d’un bruit du tonnerre. S’il y a une chose que je n’ai jamais approuvée, c’est le chamaillage, car il y a habituellement quelqu’un qui finit par être blessé, et que cela engendre beaucoup d’animosité. Par un bon et frais matin, le Sgt Humble et l’artilleur Charleston ont commencé à boxer autour de la position de tir. Ils ont entamé le combat en lançant quelques coups, puis ces coups sont devenus plus sérieux, du genre de coups de poing assez puissants pour assommer. Je me suis rendu à la porte arrière de la maison, près de l’endroit où le combat se déroulait et je me suis dit que ça devenait drôlement trop sérieux. Je leur ai donc lancé en hurlant : « Cessez-moi ces âneries! » Pour donner un ton plus convaincant à mon ordre, un obus a frappé le sol et explosé tout près des deux belligérants à ce moment-là. Personne ne fut blessé, mais la boxe cessa sur-le-champ et tout était revenu à la normale. Il s’agissait du seul et dernier obus à éclater à proximité de la troupe Fox à cette position de tir et le dernier de la guerre. Je vais vous reparler de la capture de Delfzil et de ce qui allait être la fin de la guerre pour nous.

Wagenborgen, Hollande, le 1er mai 1945. La guerre tirait certainement à sa fin, mais nos observateurs, nos pelotons équipes et nos artilleurs ne devaient pas le voir ainsi. Notre 11e Brigade d’infanterie et les unités telles que le régiment de Westminster continuaient à essuyer de lourdes pertes. Le major Floyd Brooks a souvent parlé du gaspillage de jeunes vies qui sévissait jusqu’à la toute fin. En particulier, la perte de 18 jeunes hommes des Cape Breton Highlanders lors d’une attaque fut un désastre. Ce n’est que par l’usage rapide de bombes fumigènes, dont le tir avait été ordonné par le major Brooks, que les survivants ont pu échapper au sort qui avait frappé une partie de leur compagnie. Cette attaque avait été lancée contre des casemates fortifiées alors que nous étions en route vers Delfzijl. Le 2 mai, nous avons conclu une trêve de 24 heures avec la garnison de Delfzijl pour pouvoir évacuer toute la garnison allemande qui avait été capturée.

Nos troupes ont trouvé le chantier maritime et les installations en bon état et nos sapeurs ont pu désamorcer les explosifs que les Allemands y avaient posés. Environ un jour plus tôt, ici même, le Capt Walt Tennant avait pu ordonner le tir sur les bateaux qui quittaient Delfzijl pour traverser à Embden.

Après qu’ont nous eu donné la nouvelle que Delfzijl était tombée et qu’une trêve de 24 heures avait été décrétée, j’ai enfourché ma moto pour prendre la route de Wagenborgen à Delfzijl. Au moment de mon arrivée dans la ville, le Irish Regiment faisait embarquer une longue file de prisonniers allemands à bord de camions, à raison d’environ trente prisonniers par camion. Tous les prisonniers devaient passer à la file indienne devant le sergent-prévôt du Irish Regiment. Ce dernier tenait dans la main un martinet qu’il avait pris d’un officier SS allemand. Le martinet avait un petit manche en bois luisant et au moins neuf lanières de cuir, sinon plus, d’environ dix-huit pouces de longueur. Le sergent avait raccourci les lanières en les enroulant autour de la main et au moment où les prisonniers passaient devant lui, il leur en assénait un coup sur les oreilles. Naturellement, les prisonniers baissaient la tête pour tenter d’esquiver les coups. Ce faisant, compte tenu de tout le fourbi qu’ils portaient, ils s’empêtraient dans les poignées d’une motocyclette qui se trouvait là, et cela leur valait donc quelques coups de plus.

J’ai glissé un mot au sergent du Irish Regiment au sujet de ces coups de fouet aux oreilles. Il m’a alors rétorqué qu’ils avaient tué son meilleur ami, le sergent éclaireur du régiment, la veille, et qu’ils s’étaient tous rendus aujourd’hui. Il prenait donc une petite revanche. Je me suis promené un peu plus loin, là où on faisait embarquer les prisonniers à bord des camions et, au moment où je m’approchais, j’ai vu un soldat allemand venir vers moi en parlant avec un accent newyorkais [il avait reçu quelques bons coups de fouet aux oreilles]. J’ai demandé au prisonnier s’il venait de la « Thoity Thoid Street ». Il m’a répondu qu’il vivait de l’autre côté du Bronx, sur la 44e Rue. Je lui ai donc demandé ce qu’il faisait ici. Il m’a alors répondu que son père, en bon Allemand résident de New York qu’il était, avait décidé qu’il devrait apprendre un métier lorsqu’il avait atteint la vingtaine. Donc, en 1941, il a été renvoyé en Allemagne, et de là, il a abouti ici.

Après cet échange, il fouilla dans sa poche et en retira un très beau portefeuille de cuir bleu pour me le remettre. En me le remettant, il m’a dit qu’il me l’offrait, car on allait probablement le lui confisquer de toute façon.
 
Le lendemain, nous avons reçu l’ordre de quitter nos positions. La 60e Batterie et la 76e Batterie devaient se rendre à Winschoten, en Hollande, au sud de Groningue. La 37e Batterie entra en Allemagne et s’installa près de Emden, mais sans faire feu.

Winschoten, Hollande, le 3 mai 1945. Notre entrée dans la ville hollandaise se fit sans grande pompe, mais la population était là pour nous accueillir. La 60e Batterie avait un petit chien qu’elle avait peut-être recueilli d’Italie. Le convoi de l’état-major régimentaire, suivi de la 60e Batterie et de la 76e Batterie, entra dans la ville de Winschoten. C’est là que devait être notre zone de repos. Le convoi s’est arrêté et la porte d’un des tracteurs d’artillerie de la 60e Batterie s’ouvrit pour laisser sortir le petit chien. Le chien avait été dans le feu de l’action pendant un certain temps. Il se mit à courir et se dirigea immédiatement vers la foule de civils le long de la rue et trouva immédiatement une femelle. Ne s’embarrassant pas des présentations, il monta sur-le-champ la chienne hollandaise sous le regard de tous et fit son affaire. On pouvait voir les pères et les maris se donner des coups de coude. C’était là notre entrée triomphale dans Winschoten.

Portefeuille d’un prisonnier de guerre allemand.

Cette soirée-là, après que tout les effectifs eurent été logé dans les écoles et, pour certains, dans des résidences privées, le Sgt Major Savin, moi-même et le sergent quartier-maître Terry avons décidé de sortir pour nous dénicher de quoi boire. Terry avait beaucoup de monnaie d’échange, notamment des cigarettes. Nous avions à peine fait quelques pas qu’un civil hollandais surgit d’une sombre entrée de porte pour nous demander si nous voulions lui acheter trois quarts de litre de gin. Nous lui avons répondu que oui, et Terry lui a offert deux paquets de cigarettes. Affaire conclue! Savin enfila ensuite le premier tiers de la bouteille, Terry, le deuxième, et j’ai pour ma part bu le reste de la bouteille en demeurant dans l’entrée de porte. Cela semblait dans l’ordre des choses. Nous sommes ensuite allés au camion de fournitures du quartier-maître Terry et voilà que nous étions dans les rations de rhum. Donc, chope en main, nous avons pris quelques bonnes rasades de rhum.

Nous nous sommes ensuite mis à déambuler sur les rues. Les premières personnes que nous avons rencontrées étaient le Capt David Armour et le Capitaine-adjudant Lucky Fair. Je me rappelle être allé au devant du Capt Armour, l’avoir serré dans mes bras et lui avoir dit : « Eh bien, si ce n’est pas le petit Davey Armour! » Ce fut ensuite le noir complet et je me suis réveillé le lendemain en ayant raté le tout premier rassemblement de toute ma carrière dans l’armée. J’avais le coude et le nez écorchés. Comment m’étais-je rendu à la maison où les sergents et les adjudants logeaient? Après avoir salué Davey Armour de cette façon contraire à l’étiquette militaire, car je m’étais toujours adressé à lui auparavant en l’appelant « Capt Armour », nous avions tous trois décidé d’aller voir si nous pouvions payer une visite au Colonel Rankin. Les deux officiers, pensant que ce n’était vraiment pas une bonne idée, ont confisqué la voiture du commandant adjoint pour nous ramener à la maison. Ils ont eu beaucoup de fil à retordre avec nous. Ils nous plaçaient dans la voiture, puis j’en ressortais tout aussi rapidement par l’autre portière. Ensuite, Lucky Fair m’a retenu dans la voiture tandis que Dave Armour mettait le grappin sur les deux autres délinquants pour ensuite nous ramener à notre maison.

La jolie petite ville de Winschoten, où le Régiment est demeuré depuis le jour de la Victoire jusqu’à son rapatriement en décembre.

Ils nous ont ensuite laissés devant la maison en disant à certains de nos camarades de nous sortir de la rue et de nous mettre au lit. Ces camarades ont décidé de me traîner jusqu’à mon lit, en haut de l’escalier, et c’est de cette façon que je me suis retrouvé avec le coude et le nez écorchés. Une nuit perdue et, en plus, un rassemblement raté, ce dont je n’étais pas fier. J’étais un peu choqué contre deux sergents que j’avais sortis du pétrin en quelques occasions et qui n’avaient rien fait pour me réveiller. J’avais un terrible mal de bloc et je souffrais d’intoxication alcoolique. Nous ne devions jamais revoir celui qui nous avait vendu le gin. Par la suite, un assez grand nombre de Canadiens sont morts d’un empoisonnement délibéré au gin, victimes d’Allemands ou de sympathisants des Allemands. Je m’en suis tiré à bon compte et j’ai probablement été épargné à cause de la faible quantité consommée.

La guerre est finie
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