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Mon histoire – Frank E. Christensen

par Frank E. Christensen (mot à mot)

8 mars 1988

Je suis né le 28 décembre 1920, si l'on en croit mon certificat de naissance (le 27 décembre, selon ma mère), dans la municipalité rurale de North Cypress au Manitoba. J'ai vécu les trois premières années de ma vie sur des fermes dans les environs de Brookdale et d'Oberon, puis nous avons déménagé dans la municipalité rurale de McCreary. Lorsque j'avais cinq ans, nous sommes allés vivre dans le village de McCreary, où j'ai commencé l'école à six ans. Je suis allé à l'école Rosamond de McCreary jusqu'à l'âge de dix-huit ans.

Après mes études, j'ai travaillé pendant quelque temps aux Duck Mountains à la construction de routes d'accès aux Blue Lakes. Pour faire un peu plus d'argent, je prenais les emplois qui s'offraient à l'occasion. Pendant ce temps, la guerre avait éclaté et j'avais des fourmis dans les jambes. Plusieurs de mes camarades s'y étaient engagés et, quand ils venaient en permission au pays avec de l'argent dans les poches, ils nous disaient combien c'était merveilleux d'avoir un emploi stable.

En septembre 1940, je suis monté à Winnipeg sur le pouce et le 19 de ce mois-là, j'ai joint les rangs du Queen's Own Cameron Highlanders. J'ai reçu mon instruction de base au Fort Osborne avant d'être envoyé à Barriefield, Ontario, pour y suivre un cours sur les transmissions. De février 1941 jusqu'à mai ou avril, j'ai appris le sémaphore et le morse. On nous a aussi initiés à de nouveaux appareils radios émetteurs-récepteurs, qui pesaient environ 20 livres et qui prenaient deux hommes pour fonctionner : un qui le transporte sur son dos et l'autre qui envoie et reçoit les messages. De retour au Fort Osborne, j'étais spécialiste des transmissions. Après une permission de deux semaines pendant laquelle je me suis reposé chez moi à McCreary, nous avons passé le reste de l'été à parfaire nos compétences de transmissions dans des manœuvres diverses.

Vers l'automne 1941, les Winnipeg Grenadiers sont revenus de la Jamaïque. Leur nouvelle affectation consistait à se rendre quelque part en Extrême-Orient. Ils manquaient de spécialistes des transmissions dans le bataillon; donc, une quinzaine d'entre nous spécialistes des transmissions des QOCH, du SSR et de la PPCLI de Fort Osborne ont été affectés aux Winnipeg Grenadiers. Nous avons déménagé chez les Grenadiers de la rue Water à Winnipeg au début d'octobre, et le 25 octobre 1941 nous avons quitté Winnipeg en train pour une destination inconnue. Le 27 octobre, nous nous sommes embarqués à Vancouver sur le navire de ligne australien Awatea et nous étions escortés par un petit bateau de croisière marchand armé, le Prince Robert. Nous avons fait de très courtes escales à Honolulu et à Manille avant d'arriver à Hong Kong vers la fin de novembre, où nous avons débarqué et paradé jusqu'au camp Sham Shui Po de Kowloon.

Après deux ou trois jours passés à m'adapter et m'installer, je me suis retrouvé avec le reste des spécialistes des transmissions dans le Premier peloton, compagnie de commandement, premier bataillon, Winnipeg Grenadiers, camp Sham Shui Po, Hong Kong.

C'était un autre monde. Au lieu des grandes parades de compagnie, c'était des parades de bataillon. Comme j'étais dans le Premier peloton de la compagnie de commandement, on m'a désigné quelques fois comme guide de droite pour le bataillon. Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, cela signifie que 950 à 1 000 hommes s'alignent à votre gauche ou derrière vous, ce qui est pas mal impressionnant pour un jeune de 20 ans qui vient d'une petite ville.

Pendant les deux semaines suivantes, nous sommes allés faire quelques manœuvres, mais pas assez souvent pour bien connaître la région. Dans mes temps libres, je traversais à Victoria (sur l'île de Hong Kong) pour faire du tourisme. C'est là que j'ai bu mon premier Singapore Sling et que je me suis baladé en pousse-pousse. J'ai écrit à mes parents une ou deux fois pour leur dire où j'étais et comment je me portais, mais j'ignore si mes lettres sont parties.

Nous sommes retournés faire des manœuvres vers le 5 décembre 1941, laissant au camp la plupart de nos effets personnels. Les Japonais ont commencé à nous bombarder le 8 décembre (le 7 décembre au Canada). Nous ne sommes jamais revenus au camp.

Au début de la guerre, je me trouvais au central téléphonique d'un endroit appelé Pok Fu Lam. Le central était aménagé dans un ravin escarpé qui nous protégeait bien des tirs d'artillerie, mais pas vraiment des bombardements aériens. La terre a tremblé à quelques reprises. À mesure que les combats se déroulaient et que les communications étaient interrompues à partir de différents endroits, les appels se sont espacés jusqu'à que nous abandonnions les lieux. Des gens du Middlessex (militaires britanniques?), m'ont recueilli et emmené avec eux jusqu'à un marché à étals situé près de la piste de courses Happy Valley. Nous devions monter la garde contre tout ennemi qui pourrait surgir dans une rue de front, une allée arrière et une autre rue de front. Trois d'entre nous avons passé environ trois jours à cet endroit, sans aucun répit et sans rien à manger. Finalement, à la veille de Noël, mes deux compagnons ont été blessés par balles, dont un grièvement. Le moins blessé et moi l'avons transporté à trois pâtés de maison, où un officier anglais et un conducteur se trouvaient avec un camion trois-quarts de tonne. Ils ramenaient les blessés à un hôpital. En retournant aux étals du marché vers 21 heures la veille de Noël, je me suis retrouvé dans le champ de tir d'une mitrailleuse. Dans la première rafale, j'ai été touché au bras, ce qui m'a fait pivoter sur moi-même et tomber sur le ventre dans le caniveau à côté du trottoir. La seconde rafale a sifflé juste au-dessus de moi, me faisant deux trous dans le pied droit et frappant environ trois fois mon petit sac à dos. Tout un cadeau à recevoir dans ton bas à la veille de Noël. J'ai maudit le masque à gaz sur ma poitrine. Il m'empêchait de descendre plus bas. Je n'ai plus bougé jusqu'à ce que, tout juste avant l'aube, les bombardements reprennent et que j'entende les mitrailleurs à environ deux pâtés qui partaient. Puis, avec mon fusil comme béquille, j'ai clopiné jusqu'à l'endroit où j'avais laissé les deux blessés la veille. J'ai attendu là, le temps qu'on y réunisse une demi-douzaine de blessés. Puis ils nous ont chargés dans le camion trois-quarts de tonne, qui a gravi une route sinueuse jusqu'à l'hôpital militaire du chemin Bowen. On m'a tout de suite fait une injection – contre le tétanos, semble-t-il – et comme je ne souffrais pas beaucoup, mon pied était engourdi, ils se sont d'abord occupés des plus grands blessés. Mon tour est ensuite venu de passer sous le bistouri pour être recousu. Lorsque j'ai repris conscience, dans un lit d'hôpital avec un pied dans le plâtre, j'ai découvert que j'avais été fait prisonnier de guerre. Le gouverneur de Hong Kong avait signé la capitulation. Trois jours plus tard, c'était mon 21e anniversaire de naissance. Je peux honnêtement dire que je n'ai jamais été « libre, blanc et âgé de 21 ans ». Je croyais avoir vécu l'enfer, mais durant les mois et les années qui ont suivi, je me suis rendu compte que j'en avais seulement franchi le seuil. Pendant mon internement, j'ai été soumis à la famine, aux maladies, à l'humiliation, aux travaux forcés, aux punaises des lits, aux poux et aux puces, à un manque de vêtements adéquats, à des gardiens japonais cruels, ainsi qu'à diverses formes de torture lente.

J'ai passé les quatre premiers mois, affamé, à l'hôpital militaire du chemin Bowen, avant d'être transféré au camp de prisonniers Sham Shui Po en avril 1942. À cette époque, le camp se composait presque uniquement de Britanniques, sauf pour quelques-uns d'entre nous Canadiens. On nous a donné deux minces couvertures pour coucher sur l'une et sous l'autre sur un plancher de ciment dans la hutte qui nous était désignée. Trois mois plus tard, j'ai été transféré au camp de prisonniers North Point, où presque tous les détenus étaient canadiens. Mes copains spécialistes des transmissions ont été surpris de me revoir vivant. Nous nous sommes pour ainsi dire réunis afin de partager ce qui nous était arrivé.

C'est de ce camp que quatre Canadiens se sont évadés une nuit pendant la saison des pluies. Je m'en rappelle clairement. Quand les Japonais s'en sont aperçu, ils nous ont forcés à rester debout sous la pluie pour plusieurs heures pendant qu'ils nous comptaient et nous recomptaient sans cesse. Je faisais beaucoup de fièvre à l'époque, et nous pensions qu'elle était due au paludisme ou à la dengue. Ce séjour sous la pluie n'a pas aidé une sacrée miette, mais je suis quand même arrivé à m'en défaire. Je crois que c'est aussi dans ce camp que j'ai eu mon premier accès de dysenterie. Si vous voulez maigrir très vite, c'est à peu près la meilleure – et la plus douloureuse – façon d'y parvenir. Je ne la recommande certainement pas à qui que ce soit. Je n'ai passé qu'une couple de mois dans ce camp; puis nous avons tous été transférés de nouveau à Sham Shui Po vers le 26 septembre 1942. Rendus là, nous avons été soumis aux travaux forcés. Le camp devait fournir tant d'hommes par jour pour travailler comme coolies blancs afin d'agrandir l'aéroport Kai Tak. Nous avons déplacé une petite montagne à la main pour construire une nouvelle piste, plus longue, qui permettrait à leurs plus gros avions de se poser. Ici, nous avons appris les trois « B » : botte, baïonnette et bout de crosse de fusil. Si nous allions trop lentement ou si nous n'avions pas rempli notre quota du jour, nous goûtions à l'une des trois médecines. Une vie absolument misérable. Pendant cette période de trois ou quatre mois, le camp a aussi connu une épidémie de diphtérie. Les hommes tombaient comme des mouches. C'était difficile de remplir le quota d'hommes requis pour les équipes de travail, et certains malades ont dû travailler quand même. Les Japonais ont beaucoup maltraité nos médecins, leur reprochant de ne pas faire assez pour empêcher les hommes de mourir. Nos geôliers nous faisaient passer des tests de diphtérie. J'ai découvert que j'en étais porteur, mais que je ne pouvais pas la développer moi-même. Quel soulagement. Mais j'ai attrapé le béribéri à Sham Shui Po. J'étais gonflé comme un ballon, au point que ma lèvre inférieure touchait mon menton et ma lèvre supérieure touchait mon nez. J'avais les yeux tellement enflés que je n'ai pu rien voir pendant une semaine. On devait me conduire à l'appel chaque jour, et partout où je devais aller quant à cela. Après environ une semaine de cécité, je me suis dégonflé graduellement jusqu'à ce que je puisse trouver mon chemin moi-même, après quoi j'ai été réaffecté à une équipe de travail.

La pellagre est une autre maladie que j'ai attrapée. Ma peau est devenue toute tachée. Les taches se transformaient en écailles qui finissaient par craquer et laisser des plaies ouvertes. Je suppose que c'était dû au manque de vitamines dans notre régime. À un certain moment durant mon emprisonnement à Hong Kong, mon poids est tombé à 108 lb. Je n'étais qu'un paquet d'os ambulants, mais je vous assure que ça ne m'a pas empêché de sourire et d'endurer mon sort.

Vers la Noël de 42, un navire hospitalier suédois est venu à Hong Kong. J'imagine que nous voulions tous y embarquer pour échapper à notre malheur, mais ça ne devait pas arriver. À ma connaissance, seulement les deux infirmières militaires canadiennes y ont été rapatriées et personne d'autre – même pas les amputés. On nous destinait à une autre sorte de navire. Vers la mi-janvier 43, les Japonais ont décidé qu'ils avaient besoin d'esclaves pour travailler au Japon. Quiconque était en état de marcher était désigné pour le recrutement, moi y compris. J'étais persuadé que les maladies tropicales n'étaient pas aussi graves au Japon et que les conditions ne pouvaient y être pires que celles qui sévissaient à Hong Kong. Tant qu'à aller en enfer, aussi bien y aller jusqu'au bout.

Le 19 janvier 1943, le premier contingent de prisonniers de guerre (PG) canadiens – dont je faisais partie – était embarqué sur un vieux cargo, le Tatuta Maru, et parqué dans la cale. Avez-vous déjà entendu parler du ‹ Trou noir de Calcutta ›? Eh bien, ceci en était l'équivalent, si ce n'était pire. Dans les quatre jours que j'ai passés sur ce cargo, je suis arrivé à monter sur le pont une seule fois, et encore pour environ cinq petites minutes. Aucune affiche n'indiquait nulle part que l'on transportait des PG. Nous n'avions que quelques seaux servant de toilettes et on ne nous donnait que du riz pâteux à manger. Comme il n'y avait pas assez d'espace pour que tous puissent s'allonger en même temps, certains devaient rester assis le dos appuyé au mur. La seule lumière du jour qui nous parvenait entrait par une ouverture carrée située au-dessus de nous et à travers laquelle montaient les seaux de toilette remplis et descendaient les seaux de riz pâteux.

Autour du 22 janvier, nous avons débarqué à Nagasaki, Japon, et pris un train à destination de Yokohama. De là, on nous a fait marcher jusqu'à un nouveau camp de PG dans la région de Kawasaki, entre Yokohama et Tokyo. Il y avait 500 Canadiens enrôlés et le capitaine Reid, notre médecin militaire canadien. Je crois qu'il est le seul officier canadien qui soit allé au Japon, et nous étions fichtrement chanceux de l'avoir avec nous. Il doit avoir sauvé la vie d'au moins la moitié d'entre nous à un moment ou l'autre. On nous a mis au travail sur les chantiers navals Nippon Kokan, accomplissant des tâches diverses. Quatre ou cinq hommes et moi étions chargés de livrer des bonbonnes d'oxygène aux différentes aires de soudage avec un chariot à deux roues. C'était un travail monotone. Froid en hiver, nous étions mal vêtus, et chaud en été. Nous devions travailler dix jours avant de pouvoir prendre une journée de congé pour faire la lessive, nous faire couper les cheveux, tuer les poux de corps et secouer nos couvertures pour les débarrasser des puces. Dans un groupe d'hommes en santé et bien nourris, la conversation tombe tôt ou tard sur le sexe, mais pendant tout le temps que j'ai été PG, pas une seule fois le sujet n'a été évoqué. Nous parlions plutôt des petits festins dont nous nous régalerions à notre retour à la maison. Durant mes quatre années dans les camps de prisonniers, j'ai reçu trois, peut-être quatre, colis de la Croix-Rouge (ou ce qu'il en restait). Ils aidaient, mais un par mois aurait sauvé plusieurs hommes de la famine.

Une fois au camp 3D, ils ont isolé tous les porteurs de la diphtérie (nous étions une douzaine). Ils ont aménagé une baie dans l'une des huttes, nous gardant là pour un mois ou plus. Il a dû y avoir une menace ou une épidémie de diphtérie dans le secteur entourant le camp. Nous étions donc dispensés de travailler, mais les rations étaient vraiment pitoyables.

Un hiver, croyant avoir attrapé la grippe, je suis allé consulter le capitaine Reid, notre médecin militaire. Il m'a immédiatement mis au lit dans une baie réservée aux grands malades. Il a dit que je faisais un début de pleurésie. J'avais des quintes de toux et je respirais superficiellement. Chaque fois que je toussais, j'avais l'impression qu'on me plantait un couteau dans la poitrine. Je m'en suis éventuellement sorti, mais encore une fois je n'avais plus que la peau et les os. Comme plusieurs autres et moi ne pouvions pas marcher jusqu'au chantier naval, ils nous ont mis au travail dans le camp lui-même. Ils ont apporté des établis où nous étions assis toute la journée à redresser des baguettes de soudage. Cela a duré un mois ou deux, puis moi et quelques-uns des hommes les plus gravement atteints avons été transférés dans un camp hospitalier appelé Shinagawa, un peu au nord de Tokyo. Nous avons rencontré là des prisonniers provenant de tous les camps de la région de Tokyo/Yokohama. Il y avait des cas qui vous arrachaient le cœur. Cinq ou six prisonniers mouraient chaque jour. Les rations étaient aussi mauvaises qu'au camp 3D, mais au moins nous n'avions pas à travailler. Des représentants de la Croix-Rouge sont venus inspecter le camp, mais ils devaient être aveugles. Les Japonais ont prétendu que nous avions chacun six couvertures, alors qu'ils nous avaient ordonné de plier les trois que nous avions en réalité pour qu'il semble y en avoir six. Juste avant l'inspection, ils nous ont donné à chacun une partie d'un colis de la Croix-Rouge, que nous devions placer bien en évidence. Comme on nous a interdit de parler aux inspecteurs lors de leur passage, ils sont repartis en n'ayant vu que du feu.

J'étais content de retourner à 3D un mois ou deux plus tard. Au moins, j'étais entouré d'amis et j'avais le capitaine Reid pour veiller sur moi. Tandis que je parle de mes ennuis de santé, la dernière vraie maladie que j'ai eue, c'est les oreillons, qui m'ont forcé à retourner en isolement. Les gars se moquaient de moi au camp. Ils disaient que je n'avais pas les oreillons, ou même un oreillon, seulement la moitié d'un oreillon. La maladie n'a pas descendu sur mon corps ou enflé mes deux joues, seulement sur un côté. Est-ce pour ça que je suis partiellement sourd d'une oreille maintenant?

Au printemps 1945, les Américains ont bombardé la région de Yokohama/Tokyo avec de l'artillerie lourde et des bombes incendiaires. Je me rappelle une nuit de mars 45. Ils ont lâché des bombes incendiaires sur notre région pendant toute la nuit. Nous pouvions voir passer au-dessus du camp une vague après l'autre de ces gros bombardiers quadrimoteurs. Je me souviens d'un appareil qui a été détruit en plein ciel. Ce doit être la soute à bombes qui a été touchée, car il a soudainement explosé au-dessus de nos têtes. La DCA ripostait furieusement. Nous avons vu quelques autres avions en feu retourner vers la mer. Ils devaient avoir des sous-marins qui patrouillaient le secteur pour recueillir les membres d'équipage abattus. Le camp était entouré d'une solide clôture de bambou haute de dix pieds et on ne pouvait pas voir à l'extérieur, mais ce n'était pas difficile de voir les flammes qui s'élevaient très haut autour de nous et d'entendre les cris des Japonais de l'autre côté de la clôture. Quand on nous a fait sortir pour aller travailler au chantier naval trois jours plus tard, toute la région était dévastée. Tout ce qui pouvait brûler avait disparu, sauf le camp de prisonniers et le chantier naval. Nous avons entendu dire par la suite que le chantier appartenait à des intérêts américains et qu'il retournerait à ses propriétaires après la guerre. Nous avions passé la nuit dans deux abris antiaériens que nous avions construits dans le camp de prisonniers. Le matin suivant, nous avons vérifié l'état de nos huttes et nos couchettes. Il y avait des trous de shrapnel au plafond et quelques couchettes avaient été transpercées d'une balle. La longue table placée entre les rangées de couchettes avait un trou de shrapnel à l'endroit même où je m'asseyais habituellement pour prendre mes maigres repas. Je suppose que j'aurais eu un supplément de fer dans mon bol de riz au déjeuner si je l'avais laissé sur la table. Nous avions certainement besoin de toutes les vitamines et minéraux possibles, mais pas en gros comprimés comma ça.

Quelques jours après le raid, un petit avion de chasse américain a survolé le camp de prisonniers. Il était très bas et nous pouvions voir dans la cabine le pilote qui regardait au sol. Il a fait balancer ses ailes en passant. Alors nous avons su qu'ils connaissaient l'existence du camp de prisonniers. J'imagine que c'est pour ça qu'ils l'ont épargné pendant le grand raid. Après cela, les civils japonais des chantiers navals sont devenus extrêmement méchants, mais la plupart d'entre eux semblaient avoir perdu tout courage. Il restait quand même une poignée de fanatiques qui nous ont fait la vie dure.

Fin mars ou début avril, les prisonniers du camp 3D ont été divisés en groupes. Mon groupe, d'environ 200 hommes, a été transporté en train au nord jusqu'à Sendai, une région où on extrait le charbon. À notre arrivée au camp, on nous a fait subir la fouille la plus minutieuse que j'ai jamais connue. Nous avons dû nous dévêtir complètement et mettre nos affaires en piles. Puis on nous a emmené de l'autre côté du complexe, où nous avons reçu un autre pantalon et un manteau. Après que les Japonais eurent raflé ce qu'ils voulaient dans nos affaires empilées, ils nous ont permis d'y retourner et de ramasser ce qui restait, sauf les vêtements. Ils n'avaient pas pris le thé que nous avions pu obtenir au marché noir du chantier naval, ce qui a beaucoup réjoui les prisonniers de Sendai, qui étaient pour la plupart britanniques. Ils ont bu notre thé jusqu'à ce qu'il leur en sorte par les oreilles.

Nous avons été libérés le jour suivant la fin de la guerre, mais sommes demeurés au camp de Sendai environ une semaine de plus avant d'être ramenés à Tokyo en train. Je me suis ensuite embarqué sur l'USS Iowa pendant quelques jours avant de m'envoler vers Guam, où j'ai séjourné sept à dix jours. J'ai aussi passé quelques jours à l'hôpital militaire d'Honolulu, puis trois jours à San Francisco avant de prendre le train pour Vancouver, où nous avons reçu des uniformes canadiens et une paye. Un jour ou deux après, je prenais le train direction est. Je suis arrivé à Brandon, au Manitoba, le 27 septembre 1945.

Le monde tel que je l'avais connu n'existait plus. Tout autour de moi avait changé. Je n'arrivais pas à le comprendre ou à m'y adapter. Mais je devais faire quelque chose de ma vie. Alors, treize mois après ma réforme de l'armée et treize chèques d'allocation plus tard, je suis retourné à Winnipeg et j'ai de nouveau joint les rangs de l'armée, cette fois comme membre du Génie royal canadien. Le monde militaire représentait ma sécurité. Je pouvais me débrouiller dans ce contexte-là.

Quand j'ai pris ma retraite de l'armée en 1967, j'ai revu mon parcours, non seulement la souffrance et les privations endurées comme prisonnier de guerre au Japon, mais aussi les nombreux hivers passés à Churchill quand j'étais attaché au Peloton arctique du RCASC, la période de combats en Corée (1952-1953) et les deux ans stationné en Allemagne, sans oublier les affectations régulières au Canada. En tout, j'ai servi dans l'armée pendant 26 ans.

Je peux vraiment dire que « j'ai fait l'aller-retour en enfer », mais j'en suis sorti vivant. Je me suis marié et j'ai vu mes enfants grandir – et je peux encore ‹ profiter de la vie › et apprécier la grande chance que j'ai eue, malgré tout.

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