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Dieppe

Des héros se racontent présente

Transcription
C’était une farce. On étaient en vacances. Et j’ai dit à quelqu’un : « Mon vieux, je crois que ça va chauffer un peu ici! Nous voulions être bien entraînés et en bonne condition physique. Nous voulions suivre les ordres. Nous pouvons tout vaincre. Quels fous mortels! Le raid de Dieppe, 1942 De Southampton, nous sommes montés à bord du Princess Beatrix. Sur chacun des flancs, trois péniches d'assaut remplacait les embarcations de sauvetage. Lord Louis Mountbatten est monté à bord, il nous a tous réunis et nous a raconté une blague. puis il a dit : « Notre destination est Dieppe, car c’est un endroit peu fortifié. On va avoir la surprise, c’est ça qui est notre atout ! Nous nous sommes rendus là-bas sans problèmes. On aurait cru qu’on faisait une randonnée en bâteau un samedi soir. Y’en a qui se contaient des blagues, d’autres priaient, puis ... moi sur mon pont arrière... je priais moi aussi. Je me rappelle avoir vu un avion, sûrement un appareil allemand. Il a largué des fusées éclairantes. Nous étions assez loin en mer mais les fusées ont illuminé la Manche, on pouvait voir les navires d’escorte et toutes les péniches de débarquement. C’était comme le premier juillet. Tout simplement fantastique! avec les balles traçantes, les couleurs et tout le reste. C’était féérique! Les Spitfire défilaient douze à la fois, les escadrilles les unes à la suite des autres et on ne savaient pas ce qui se passait. C'était la plus grande bataille aérienne : imaginez-vous 3 000 sorties faites par les Britanniques et presque 1 000 par les Allemands. Cela fait 4 000 avions dans le ciel en même temps. Tous ces bombardiers bimoteurs - c’était des Hudson, je crois - traversaient la Manche. Ils n’ont jamais touché quoi que ce soit! Les bombardiers en piqué Stuka étaient une véritable plaie : ils piquaient en faisant un bruit strident, vous savez! Ils lâchaient leurs bombes, mais ce bruit strident était affreux. Nous sommes parvenus à notre destination vers 6 h, mais nous n’avons pas pu débarquer avant environ 6 h 30. Les bateaux ont commencé à avancer et puis là, en approchant de Dieppe, les Allemands ont ouvert un feu meurtrier sur les bateaux Vous auriez dû voir le tapage qu’il y avait là. On s’entendait pus. On était sourd. Les Allemands ont eu la partie belle. Ils pouvaient nous descendre à volonté. Nous étions censés avoir pour adversaire un bataillon de pionniers allemands fatigués rescapés du front russe. Je peux vous dire qu’ils étaient loin d’être fatigués! Les Allemands étaient des maîtres de la télémétrie et de la conduite du tir; le secteur était totalement couvert de leur feu. Ils avaient des canons dans les falaises à notre droite et à notre gauche, et ils avaient installé des mitrailleuses dans les bâtiments en face de nous. La plage était couverte de gros cailloux sur lesquels les chars n’avaient aucune traction. Les chars étaient carrément inutiles. Leurs équipages faisaient de leur mieux, mais en vain. Il n’était pas possible de mener les chars dans Dieppe même. On ne savait pas si on allait être touché. Dans l’armée, c’est impossible. On ne sait jamais. Vous voyez le colonel qui se fait tuer devant vous, puis c’est au tour du sergent-major, là sous vos yeux! C’est pas un jeu, mon vieux! Tu bouges, et vite! J’ai titubé sur la plage et je n'voyais que des morts et des parties de corps humain, éparpillés partout. Alors, je courais sur des gars morts ou qui criaient au secours. Je me répétais : « Ne t’arrête pas. Continue! » Puis là, y’a une bombe de mortier qui a tombé à sa droite et puis moi, j’ai été protégé par son corps. J’ai arraché sa deuxième plaque d’identité. Nous en portions tous deux. On en prend une, on laisse l'autre avec le corps. La plupart des morts étaient près du mur côtier. Les soldats n’avaient pas pu aller plus loin sauf quelques-uns qui avaient réussi à entrer dans la ville. La marine essayait d’envoyer des bateaux de débarquement à notre secours, mais elle n’y arrivait pas. Les mortiers allemands étaient d’une précision incroyable. Les Allemand avaient dû s’exercer plusieurs fois pour être aussi précis. Il y avait quelques survivants qui nageaient puis...je les voyais prendre des plonges comme ça parce que les Allemands essayaient de tous les massacrer. Le HMS Berkeley est venu prendre des troupes à son bord. Il laissait pendre des cordes et des filets sur ses flancs, mais il ne s’arrêtait pas. Il fallait en attrapper, puis ne pas lâcher prise, car votre vie en dépendait. Chacun devait se hisser à bord. La coque du navire était couverte de sang. Vrai, c’est ça, les souvenirs de Dieppe. Vers onze heures, on s’est aperçu qu’un de nos pelotons qui avançait vers nous avec les Allemands en arrière. Ils se servaient de notre peloton comme bouclier. Là, le commandant de compagnie... Y’en a qui voulaient tirer... Le commandant de compagnie a dit : « Non, non. On est pas pour tirer [..] pis tuer nos hommes. » Et là, il a donné l’ordre de se rendre. Ils sont venus à moi et ils pouvaient voir que j’étais blessé. Je perdais du sang. Chaque fois que je parlais, des gargouillements provenaient de ce trou, ici, et le sang sortait et de l’air aussi. Moi je faisais le mort. L’Allemand quand il est arrivé à moi... Il a tourné mon camarade et puis, quand il est arrivé à moi ben.. j’avais le bras comme ça... Ça fait que je suis chatouilleux moi, comme y’en a pas deux. Fait que j’ai eu un soubresaut et puis il m’a dit : « Komt, komt mein Leiber. » On nous a rassemblés dans une cour d’école. Là, un Spitfire nous a survolés, et les Allemands ont tiré dessus. Alors, le pilote a décrit un cercle, est revenu, a vu un groupe d’hommes et a dit : « Partagez-vous donc ceci! » Plusieurs ont été tués, y compris deux des nôtres. Le lendemain matin, les trains sont arrivés, les wagons. Là, on nous a embarqué 40 par wagon. Et là, on s’est dirigé sur Verneuil. Le train s’est arrêté à Lammsdorf, la station la plus proche du camp de prisonniers. La première chose que nous avons vue quand ils ont ouvert les portes...furent des prisonniers russes qui déchargeaient un train de munitions, et les Allemands munis de fouets. Là, on nous mettait le nez...les orteils au mur pis le nez au mur pis on nous mettait des chaînes, attachées en arrière. Nous étions certains que nous allions être exécuter. Nous avions faim, nous avions froid et nous étions mal en point. À vous dire, je m’en fichais complètement. Nous étions censés recevoir une médaille pour le raid de Dieppe, mais Churchill s’y est opposé : « Pas de médaille pour ceux qui ont échoué! » J’imagine que ceux qui dirigeaient les choses avaient des idées différentes sur l’opération, mais pour les soldats ordinaires, ce ne fut rien d’autre qu’une mission suicide. Moi, j’ai pas pu m’empêcher de dire : « Ça a été une boucherie. » Quel gaspillage! La vie ne vaut pas grand’chose, n’est-ce pas?
Catégories
Médium :
Vidéo
Propriétaire :
Anciens Combattants Canada
Date d'enregistrement :
1 décembre 2010
Durée :
5:00
Personne interviewée :
Heroes Remember Presents
Guerre ou mission :
Seconde Guerre mondiale

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