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Beryl May-Wheeldon

Cet article nous a été remis par Dan Wheeldon de l'Agence canadienne de la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth, à Ottawa, dont la grand-mère, Beryl May-Wheeldon, a servi au cours de la Première Guerre mondiale et a vu trois de ses fils partir outre-mer au cours de la Seconde Guerre mondiale. Voici quelques extraits tirés de l'autobiographie de cette dernière.

« Le journal intime de ma grand-mère décrit deux guerres.

Ma grand-mère a vécu de très près la Première Guerre, la Grande Guerre. Elle a assisté à la métamorphose de la Grande-Bretagne et à la tragédie sanglante des combats. »

« Le mois d'août 1914 a marqué le changement. Ce fut la réponse des merveilleux Don Quichotte qui ont offert leur vie sur l'autel d'un sacrifice qu'ils ne comprenaient pas. Mille et une raisons les ont conduits au massacre : pour certains, c'est le franc jeu qui les a empêchés d'assister en spectateurs aux menées d'un tyran qui tentait d'imposer sa volonté à une petite nation; pour d'autres, c'est le goût de l'aventure ou l'instinct de mouton qui l'a emporté; pour d'autres enfin, c'est la conviction profonde, nourrie par la propagande, que c'était là la guerre qui devait mettre fin à toutes les guerres. En un mois à peine, les pentes du terrain communal Frensham se sont couvertes de tentes coniques et de marquises, autant de voiliers semblant flotter sans but sur une mer de bruyère. Les routes de campagne se mirent à résonner du bruit de pas marquant la cadence, et les cris de 'vieux soldats' - des sous-officiers qui tentaient d'entraîner en trop peu de temps des éléments par trop bigarrés - fendaient l'air. Le vacarme des trains de transport de troupes en partance du camp Borden emplissait la nuit; ils emmenaient au loin les unités entraînées, les éléments de base de la horde formidable qui allait former les armées de la guerre de 1914 - 1918. »

Ma grand-mère a perdu des amis et son premier grand amour au cours de cette guerre. Avec sa mère, mon arrière-grand-mère, qui avait alors la quarantaine (mon arrière-grand-père était mort avant la guerre), elle suivit des cours de conduite et de mécanique, dans l'intention de conduire des ambulances pour la Croix-Rouge. Une fois leur permis obtenu, elles furent acceptées comme chauffeurs à l'arsenal Woolwich, les premières femmes à occuper ce poste. Elles répondirent plus tard à l'appel de la France, qui cherchait des bénévoles pour aider à l'effort de guerre; comme elles croyaient pouvoir être appelées par la Croix-Rouge à n'importe quel moment, elles durent quitter l'arsenal Woolwich et partir pour la France en bateau, au mois d'août 1917.

Un peu avant Noël de la même année, elles revinrent en Angleterre; elles étaient chauffeurs pour la Croix Verte quand, en avril 1918, on leur demanda de se présenter comme chauffeurs auprès de la 41e Compagnie d'ambulances automobiles à Rouen, en France.

« ...le transport des dépouilles, de la morgue au cimetière. En ce temps de pertes innombrables, il était difficile d'assurer ce transport, car les blessés avaient la priorité. Il fallait évacuer rapidement les trains à la file, par crainte d'une attaque aérienne sur les gares si vulnérables. Par conséquent, les dépouilles devaient parfois rester quelques jours à la morgue, qui n'était pas pourvue de mécanisme de réfrigération et où la température atteignait souvent les quatre-vingts degrés Fahrenheit. »

Son journal renferme la description de nombreuses péripéties : conduire dans la tourmente des raids aériens, sans savoir si la route continue ou si elle a été bombardée; rentrer cahin-caha au camp, sur des pneus bourrés de foin, parce que les stocks de chambres à air étaient épuisés; l'épidémie de grippe au cours de laquelle elle a été l'un des huit chauffeurs, sur un total de quarante, qui n'aient pas été incommodés (cette maladie a causé la mort d'un grand nombre de personnes qui étaient pourtant sorties indemnes de quatre années de guerre); les funérailles déchirantes d'une femme qui s'était élancée en courant devant la file avant d'un contingent d'hommes et sous les roues de l'ambulance que conduisait ma grand-mère.

À la fin de la guerre, mon arrière-grand-mère et ma grand-mère servaient dans la 48e Compagnie à Abbeville, quand cette dernière fut témoin encore d'une excessive souffrance et tragédie humaine. Elle décrit en effet la collision de deux trains dans un tunnel, qui a entraîné beaucoup de morts et causé des blessures épouvantables; l'un des trains transportait des soldats démobilisés.

« Ils avaient survécu à quatre années de guerre et ils rentraient chez eux - mais leur destin s'arrêtait ici. Leur regard est gravé dans ma mémoire : "Ma soeur, regardez dans la poche de ma tunique - prévenez ma famille" étaient souvent leurs derniers mots. »

Les deux femmes commençaient à croire qu'elles en avaient assez.

« Au cours de la semaine avant la démobilisation...nous sommes allées du côté d'Arras, sur les crêtes de Messines et de Vimy, à Ypres et le long de la route de Menin à Lille. Tant de dévastation au nom de la victoire, c'est à en perdre le souffle; une descente dans les entrailles de la terre où des hommes ont vécu; des cratères creusés par les mines à côté de la colline 60 et le long de la route de Menin, et, reconnaissables dans la boue, les chars et le crâne des hommes qui les conduisaient - une multitude de croix 'en terre étrangère' dans les nombreux cimetières tout au long de la route; des endroits aussi, sur la crête de Messines, où des membres éparpillés avaient été ramassés dans des sacs qu'on avait étiquetés au nom de tel ou tel soldat, sans qu'il soit possible de savoir s'ils appartenaient tous à la même victime de la civilisation. »

En octobre 1920 mon arrière-grand-mère et ma grand-mère s'embarquèrent sur le Caronia, en route vers le Canada. Elles s'établirent en Colombie-Britannique, où elles ont pu profiter des avantages offerts dans le cadre du Overseas Settlement of British Women (établissement outre-mer des femmes britanniques).

Au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, ma grand-mère écrit...

« ...je savais que trois de mes fils allaient être mêlés à ce conflit. Même si la guerre me faisait horreur, ce n'était pas le moment de reculer devant l'idée qu'ils allaient y participer. Non, mon pacifisme ne pouvait résister à ce qu'il nous fallait combattre. »

En effet, trois de ses fils s'impliquèrent : Tony, l'aîné, mon père, Dick, et Mac...

« En juin (1944) vint l'annonce saisissante du débarquement en Normandie. J'ai souffert avec les hommes alors, comme j'avais souffert à l'époque de Dunkerque. Les noms de localités - que de souvenirs ils ramenaient. »

La nouvelle année commença après un rappel salutaire de la force qui restait aux Nazis. Dick, dans la marine, se trouvait à Murmansk, mais Tony et Mac étaient tous deux en Belgique. J'allais de temps à autre au cinéma pour me divertir, mais chaque garçon dans les actualités était un Tony, un Dick ou un Mac, et je n'avais pas besoin de cela.

En février, Mac a été blessé à Clèves. Je m'y attendais. En prenant le télégramme des mains du jeune garçon, j'ai d'abord ressenti de la pitié pour ces jeunes porteurs de nouvelles tragiques.

« Ça n'est pas trop grave, Mme W », a-t-il dit nerveusement pendant que je signais le registre.

« Je ne suis pas surprise », lui ai-je dit. « On prévoit ce moment quand on a des fils là-bas. »

« Cette semaine fut la plus longue de ma vie. Le télégramme disait qu'il avait été blessé et que je recevrais des précisions plus tard. J'étais calme en apparence, mais ma dernière pensée le soir et ma première le matin étaient pour Mac. Avait-il encore tous ses morceaux? Souffrait-il? Il n'avait que dix-neuf ans - serait-il handicapé ou estropié pour le reste de sa vie? J'essayais de le rejoindre en pensée.

Enfin, j'appris que ses blessures n'étaient pas trop graves et qu'il s'en remettait bien. Tout d'un coup, je pouvais assimiler les nouvelles plutôt que les parcourir des yeux seulement; je pouvais écouter la radio et non uniquement l'entendre; je pouvais me coucher le soir sans me concentrer sur ma peine et me réveiller le matin sans être assaillie de questions.

Les alliés mettaient le paquet, et la marée nazie était enfin enrayée. Mais là-bas, au front, la destruction continuait. C'était le dernier coup à donner. Sanglant, mais combien rempli d'espoir. Devinant la fin proche, l'inconscient collectif des épouses et des mères du monde entier adressait une 'prière' pour que leurs hommes reviennent sains et saufs.

L'Allemagne nazie se lézardait. Les dévastations macabres causées par les raids meurtriers des V2 avaient peu à peu raison de la clémence des nations alliées. Les rumeurs d'atrocités incroyables, dorénavant confirmées, parvenaient à endurcir le coeur des plus pacifistes. Le nazisme, ce régime démentiel, devait être détruit.

Enfin, la puissance des alliés l'emporta. Le 28 avril!

Rumeurs et nouvelles contradictoires circulaient; pendant deux jours, il a été question d'effondrement ici, de capitulations ailleurs. La tension était insupportable. Debout près de la radio, un linge à vaisselle dans les mains, j'avais la chair de poule quand j'entendis l'annonce : « Un ultimatum de 48 heures ». Mon coeur de mère ne fit qu'un bond, dans l'espoir que mes fils s'en étaient tirés indemnes. Mais rien n'était moins certain, et j'étais trop réaliste pour ignorer que, même en ce moment, Tony pouvait être mort : « Les chars s'étaient avancés sous le tir nourri de l'ennemi. » Dick était peut-être là aussi : « La marine participait au combat, à l'embouchure du fleuve." J'espérais que Mac était encore en convalescence à la base, mais je n'en étais pas sûre. Mathew Halton disait qu'il y avait peu de victimes à présent : "quelques morts par jour, une dizaine de blessés ». Mes fils étaient-ils du nombre? Avais-je tort d'espérer qu'ils allaient s'en sortir? « Les combats continuent, disait l'annonceur, c'est une question d'heures ». Des heures combien éprouvantes.

C'est comme si j'avais passé la semaine suivante au bord d'un précipice. Jour après jour, des nouvelles contradictoires, puis la confirmation de la fin des hostilités en Europe de l'Ouest.

Une autre semaine s'était écoulée - il y avait en effet une semaine que tous attendaient, le souffle coupé par l'émotion, la nouvelle imminente. On disait qu'Hitler était mort...que le Cabinet britannique siégeait et que les événements 'se précipitaient'. Mais l'euphorie était passée. Il était évident que c'était terminé - et, pour moi et des millions de femmes comme moi, c'était la Fête des Mères. La confirmation officielle ne pourrait pas ajouter grand-chose.

On pouvait voir, ici et là, des défilés discrets - quelques drapeaux, des poignées de confettis - et des fanfares, mais la plupart du temps les gens restaient chez eux, essayant de départager leurs émotions. D'abord la joie de savoir que leurs compatriotes et leurs alliés avaient été témoins du cessez-le-feu, puis le sentiment de triomphe face à l'éradication de la menace nazie; et, en sourdine, le rappel incessant de certains épisodes de cette victoire que leurs hommes avaient âprement disputée, mais qu'ils n'allaient jamais partager.

Oui, l'Allemagne était vaincue, anéantie, humiliée, et nul ne pouvait dire qu'elle ne le méritait pas. Mais sort-on jamais gagnant d'une guerre? »

À la douce mémoire de ma grand-mère,
Beryl May-Wheeldon.
« Comme une goutte d'eau dans l'océan versée »
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