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Mes années dans la marine – Gordon R. Belcher, mat 1, Réserve de la marine royale canadienne RMRC

par Gordon R. Belcher, mat 1, Réserve de la marine royale canadienne RMRC

Je me suis engagé dans la Marine à Montréal au mois de juillet 1940, après avoir passé les trois années précédentes à naviguer sur les Grands Lacs. On m'a dit de rentrer chez moi et qu'on m'enverrait chercher dès que mes papiers seraient prêts. Au bout de cinq semaines environ, on m'a demandé de me présenter à Montréal d'où j'ai été envoyé à Halifax. J'ai reçu mon uniforme au bout de quelques jours, et comme je m'étais engagé comme matelot de 2e classe, mes supérieurs ont supposé que j'avais effectué mon entraînement de base à Montréal. Ils m'ont donc affecté à la garde, mais lorsqu'ils ont vu que je ne savais ni mettre l'arme à l'épaule, ni présenter les armes, ni comment tourner, ils m'ont donné un cours de drill de cinq minutes. Après quelques semaines, j'ai commencé à m'impatienter, car je ne m'étais pas du tout enrôlé dans la Marine pour faire ça. J'en ai donc parlé à quelqu'un (je ne me souviens d'ailleurs plus de qui il s'agissait) en lui disant que le poste qui m'avait été attribué ne me convenait pas. On m'a alors fait suivre un cours sur l'utilisation de la mitrailleuse Bren dont nous étions supposés ressortir canonniers de l'artillerie anti-aérienne pour servir sur des navires marchands. Le jour de l'examen final qui devait faire de nous des canonniers qualifiés, j'étais malade de la grippe. Il fallait que j'attende le prochain examen qui n'était que dans deux ou trois mois pour pouvoir de nouveau avoir une chance d'obtenir mon brevet. Il n'était pas question que j'attende aussi longtemps et je me suis donc rendu quotidiennement au bureau des affectations jusqu'à ce que je sois enfin détaché au NCSM Assiniboine le 20 octobre 1940.

Le commandant était le commodore L. W. Murray, et nous avions de nombreux officiers supérieurs de la MRC à bord, notamment John Stubbs, Ralph Hennessey, Desmond Piers, E. Boak, T. Porter et bien d'autres dont j'ai fini par oublier le nom après près de cinquante ans. Nous avons quitté Halifax pour nous rendre au Royaume-Uni le 15 janvier 1941; à notre arrivée là-bas, le commodore Murray a été affecté au Quartier général de la Marine à Londres, et c'est le lieutenant-commander Stubbs qui l'a remplacé. Nous avons passé les dix-neuf mois suivants en convoi dans l'Atlantique Nord et effectué de nombreuses traversées depuis Greenock et Londonderry jusqu'à Terre-Neuve.

Au mois d'août 1942, nous étions aux prises avec un sous-marin U210 en surface et, comme nos armes n'arrivaient pas à transpercer son armure de tôle épaisse, nous l'avons finalement éperonné, c'est-à-dire, que nous l'avons heurté de l'avant et coulé. Pendant qu'on réparait notre navire, la majorité de l'équipage a été transféré sur d'autres navires.

Après mon congé et un mois passé à Stadacona, je fus affecté sur le remorqueur St. Anne. Nous sommes partis d'Halifax pour nous rendre à St. John's (Terre-Neuve), afin de remorquer le NCSM Saguenay jusqu'à St. John (Nouveau-Brunswick). Le Saguenay avait été frappé par un cargo alors qu'il faisait partie d'un convoi; il avait dû larguer ses grenades sous-marines charges, et sa poupe avait été presque intégralement détruite. De retour à Halifax, je fus affecté au St. Laurent le 16 janvier 1943, où je suis resté jusqu'en octobre 1943. Le commandant était le cdr G. H. Stephen, et nous nous occupions du convoyage sur l'Atlantique Nord. Lorsque le St. Laurent a dû être réparé, je restai à terre pendant un mois avant d'embarquer sur l'Algonguin, qui avait été construit aux chantiers navals John Brown sur la Clyde. L'équipage fut envoyé en train (dans de vieilles voitures coloniales) jusqu'à Charleston, en Caroline du Sud, pour embarquer sur le NSM Arethusa, qui avait été réparé dans les chantiers maritimes de la U.S. Navy, et se rendre au Royaume-Uni. Le navire ne disposait alors que d'un équipage réduit que nous étions censés venir compléter. Aucun d'entre nous n'avait encore été sur un croiseur auparavant. Ce fut donc une véritable aventure. Nous avons quitté Charleston le lendemain de Noël, nous nous sommes arrêtés aux Açores pour faire le plein et nous avons navigué jusqu'à Portsmouth, où nous avons pris le train jusqu'à Niobe. Nous avons armé l'Algonguin le 18 février 1944 et, après deux semaines d'essais, nous avons été affectés à la 26e Flottille de destroyers de la Flotte britannique, qui partait de Scapa Flow. Notre commandant était le lieutenant-commander D. W. Piers. Notre navire jumeau, le Sioux, qui était sous les ordres du lieutenant-commander E. G. Boak, nous a rejoint deux semaines plus tard environ.

Notre tâche était très difficile. Nous escortions les porte-avions et les croiseurs chargés d'effectuer des raids contre le cuirassé allemand Tirpitz en Norvège. Nous avons mené plusieurs attaques contre des convois le long de la côte norvégienne, participé aux bombardements du jour J sur la côte normande et nous sommes restés quelque temps dans la Manche pour effectuer des patrouilles.

Sur le chemin du retour vers Scapa Flow, nous avons dû mener d'autres attaques contre la flotte allemande près de la côte norvégienne et nous avons escorté deux convois, le JW 63 et le RH 63, en direction et en provenance de Murmansk. Le 22 août 1944, nous avons pris à notre bord 203 membres d'équipage et officiers du Nabob qui avait été torpillé dans la mer de Barents. Nous sommes retournés à Halifax en février 1945 pour mettre le navire en radoub, et je suis resté à terre à Stadacona.

Je me trouvais à Halifax le jour de la Victoire en Europe. Quelques semaines plus tard, j'ai été envoyé chez moi en permission pour être finalement démobilisé le 28 août 1945.

Durant mes cinq années passées dans la Marine, j'ai connu beaucoup de bons moments, mais aussi beaucoup de moments difficiles, et j'ai aussi rencontré beaucoup de gens bien. Quarante-cinq ans plus tard, j'aime toujours l'eau, j'ai encore un canot à moteur et je peux dire que j'ai toujours été un marin dans l'âme!

Le St. Qui?

« Le St. Anne », me répondit l'officier marinier du bureau des affectations. « J'espère qu'il ne s'agit pas encore d'une de ces constructions à quatre cheminées qui nous viennent du cimetière de la U.S. Navy », ai-je dit. « Mais, non, il n'a qu'une cheminée. Prépare ton équipement et présente-toi le plus vite possible, parce que le navire appareille demain ». Il m'indiqua où le navire était amarré, et me voilà parti pour préparer mon équipement et retrouver la mer.

Je venais juste de terminer deux ans à bord du NCSM Assiniboine, et j'étais à terre, parce que nous avions éperonné un sous-marin et nous étions rentrés pour faire réparer le navire. Pendant que j'attendais, à Stadacona, d'être affecté sur un nouveau navire, j'ai suivi un cours de conduite de tir et j'ai obtenu mon brevet de chef radiotélégraphiste (CR) II. J'avais déjà obtenu mon brevet de CR III à bord de l'Assiniboine. J'ai également suivi un cours rapide en Transmissions ainsi qu'une formation succincte d'exercice militaire, et j'ai obtenu mon brevet de matelot de 1re classe. Me voilà donc affublé de mon ancre de matelot de 1re classe et de mon insigne de CR II tout neufs, prêt à vivre de nouvelles aventures sur un nouveau navire. Sur le chemin qui me menait à la jetée, je n'arrivais pas à me souvenir d'un navire du nom de St. Anne. J'avais beau avoir navigué sur la plupart de nos destroyers et pratiquement entendu le nom de tous les autres, je ne me rappelais pas avoir entendu ce nom. Je savais qu'il ne pouvait pas s'agir d'une corvette puisqu'il n'y a pas de CR II sur ces bateaux; il ne pouvait donc s'agir que d'un destroyer ou d'un navire plus important. Tant pis, je verrais bien sur place. En arrivant sur la jetée, j'ai regardé autour de moi, mais n'ai vu aucun navire amarré. Où que je regarde dans le port, je ne voyais rien qui puisse ressembler à un navire au mouillage. Comme j'allais partir, une plaque d'identification attira mon attention. Il était là – le St. Anne – un petit remorqueur en bien piètre état! La Marine avait vraiment le don de vous surprendre! Pourquoi aurait-elle besoin d'un CR II sur un remorqueur qui ne possédait aucun dispositif de conduite de tir et sur lequel ne se trouvait d'ailleurs aucun canon? Je rangeai mon équipement sur le pont, et retournai à grande hâte au bureau des affectations afin de découvrir comment une telle erreur avait pu être commise. Évidemment, l'après-midi était déjà bien avancé, et toutes les personnes ayant une réelle autorité étaient déjà parties pour la fin de semaine. « Désolés, mais nous ne pouvons rien faire ».

Je n'avais donc aucune autre choix que de suivre les ordres. La véritable raison de cette affectation, m'a-t-on dit, tenait au fait que j'étais un réserviste de la MRC et que la Marine souhaitait avoir des anciens marins marchands sur ce remorqueur.

Finalement, je retournai à bord et je me présentai au capitaine d'armes qui était un matelot de 1re classe. Il avait déjà exercé la fonction de premier maître, mais il avait été dégradé pour des motifs que j'ignorais. D'autres marins qui se trouvaient là étaient d'ailleurs dans la même situation. Le reste du groupe était composé d'anciens marins de la marine marchande. La plupart d'entre eux avaient l'air d'avoir navigué à bord de navires de tramping vieux et sales. La Marine n'avait certainement pas envie de les mettre sur l'un de nos beaux navires à l'allure respectable. Le cuisinier était un jeune homme à l'allure soignée et un bon cuisinier. Les signaleurs et les radiotélégraphistes sont montés à bord après moi. C'était des chics types et ils avaient apporté leur équipement portatif avec eux. Le commandant de bord et son lieutenant étaient tous les deux d'anciens marins de la marine marchande qui avaient navigué plusieurs années sur le fleuve Saint-Laurent et en eaux côtières, de bons marins qui connaissaient très bien les eaux de cette région. Lorsque je rencontrai le capitaine, il me dit : « Vous êtes canonnier. Bien! Vous vous occuperez donc du canon ». Il m'emmena ensuite à la timonerie et me tendit une mitrailleuse Bren, en me disant que si nous étions attaqués par un sous-marin, je devrais m'en servir pour défendre le navire. Le lendemain matin, nous nous dirigions vers Sydney, pour nous rendre ensuite à St. John's (Terre-Neuve). Le voyage se déroula sans incident, à une exception près. Un après-midi, on nous appela à nos postes de combat quand un membre de l'équipage aperçut ce qu'il croyait être un périscope. Heureusement, ce n'en était pas un, et je n'eus pas à utiliser ma mitrailleuse. Nous sommes restés un peu plus d'une semaine environ à St. John's, et le lendemain de Noël, nous sommes partis pour Halifax en remorquant le NCSM Saguenay qui avait été gravement endommagé par une collision. Nous étions escortés par une corvette, ce qui faisait que nous nous sentions davantage rassurés. Lorsque nous arrivâmes enfin à Halifax le 8 janvier 1943, j'avais déjà préparé mon équipement et je quittai le St. Anne. Une semaine plus tard, j'étais envoyé sur le destroyer NCSM St. Laurent. Voilà, qui était mon style de bateau! J'allais enfin pouvoir exercer les fonctions pour lesquelles on m'avait formé.

Mais, je me demande encore ce qui a bien pu arriver au St. Anne. Je n'arrive pas à trouver une seule mention le concernant dans l'ouvrage Les navires des forces navales canadiennes 1910-1981, qui contient pourtant des photos et des statistiques de tous nos navires de guerre, et même des bateaux de plaisance et des chalutiers transformés. Peut-être que la Marine a fini par oublier jusqu'à son existence parce qu'il ne s'agissait que d'un simple remorqueur. Pourtant, lorsqu'on a eu besoin de lui, il a su servir le Canada avec efficacité et fierté.

Le Bismark

Le 21 mai 1941, je me trouvais à bord du NCSM Assiniboine. Nous étions à peine de retour à Liverpool, après avoir escorté un convoi qui traversait l'Atlantique Nord. Nous devions y passer quelques jours pour faire effectuer des réparations mineures sur le navire, mais, au bout de quelques heures, nous reçûmes l'ordre d'appareiller. Nous étions chargés d'escorter un croiseur qui avait mis le cap vers Scapa Flow, et à plein régime. Le lendemain, nous avons rencontré les autres navires que nous devions rejoindre. Quel spectacle impressionnant! On aurait dit que la moitié de la Marine britannique était là. Navires de guerre, croiseurs légers, croiseurs lourds, un porte-avion et des dizaines de destroyers mettaient le cap vers l'ouest à plein régime. On nous informa alors que le NSM Hood avait été coulé par le Bismark, un navire de guerre allemand. À ce moment-là, la Flotte britannique n'avait qu'une idée en tête : couler le Bismark. Après avoir navigué à pleine vapeur pendant les trois jours suivants, un certain nombre de destroyers commençaient à manquer de carburant. Nous sommes donc allés en Islande pour faire le plein; puis, nous avons rejoint le reste de la flotte. On avait aperçu le Bismark, et les navires arrivaient, prêts à livrer bataille. Alors que nous nous trouvions à environ six heures de bateau du lieu du combat, nous avons été informés que le Bismark avait été coulé. Étions-nous déçus? Et bien, oui, un peu. Mais, il s'en est fallu de peu pour que nous assistions au coup de grâce!

L'Équipée islandaise

Chaque fois que les marins allaient à terre, ils prenaient quelques verres de trop et finissaient par se retrouver en difficulté avec les forces de l'ordre, et c'était généralement les matelots et les soutiers qui étaient à la racine de tous les maux. Pas toujours! C'est d'ailleurs ce qui est arrivé quand nous étions à bord de l'Assiniboine, à la fin de l'été 1941. Nous étions à Reykjavik, en Islande, pour faire le plein et charger du matériel, avant de rejoindre notre prochain convoi. Nous avions eu une permission dans l'après-midi, mais il n'y avait pas grand-chose à faire sur place, et la majorité de l'équipage était donc restée à bord cette nuit-là. Quelques officiers s'étaient rendus à terre dans l'après-midi et, alors qu'ils passaient devant l'ambassade d'Allemagne, ils avaient remarqué un aigle en bronze perché sur un piédestal, devant l'immeuble. L'un des officiers eut l'idée que cet aigle pourrait faire un magnifique trophée pour le carré des officiers et, après quelques autres verres de gin tonic, ils se mirent tous d'accord. L'ingénieur leur fournit des scies à métaux et les voilà partis, chaque homme ayant une tâche bien précise à accomplir. Certains furent placés à différents endroits pour faire le guet, alors que les autres s'occupaient de scier. Tout se déroulait selon le plan, quand un policier apparut soudain, et les guetteurs donnèrent l'alarme. Ils n'avaient pas fini le travail, mais il était évident qu'il leur était désormais impossible de le faire. Ils se dispersèrent en courant dans toutes les directions aussi vite que leurs jambes le leur permettaient. Tous nos officiers, sauf un, réussirent à rejoindre le navire sans se faire attraper. Nous avions emmené pour ce voyage un photographe de la Marine chargé de prendre des photos officielles. Ce photographe était un peu plus âgé, un peu plus court et un peu plus gros que nos jeunes officiers, et il ne pouvait pas courir aussi vite qu'eux ou que le policier islandais. Donc, il se fit prendre et se retrouva en prison. Le lendemain matin, notre commandant, le lieutenant-commander John Stubbs, dut retourner à terre et obtenir sa liberté sous caution. Dans la foulée, on nous demanda de partir le plus rapidement possible en nous priant de ne jamais revenir dans ce port. Nos officiers n'eurent donc jamais une autre occasion de prendre l'aigle.

Un des soutiers avait d'ailleurs écrit un poème au sujet de notre équipée, mais je l'ai égaré et je n'arrive pas à le retrouver.

Je me demande si cet aigle marqué de profondes entailles de scie à métaux est encore perché sur son piédestal.

Gordon R. Belcher, mat 1, RMRC

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