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Evelyn Gooderham

Cette histoire a été publiée par Heather Russell de l'administration centrale de Charlottetown. Elle a été tirée du journal de sa mère.

« Mon nom est Evelyn Gooderham. Je suis née à Wiltshire en Angleterre, le 8 décembre 1932. Je n'avais pas encore sept ans lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata. J'ignore combien de temps après commencèrent les bombardements, mais je me souviens bien de cette fameuse nuit. Je vivais avec mes grands-parents, ma tante Joyce et mon oncle Derek. Derek avait environ onze ans. Nous résidions à Salfords, à 40 km de Londres. La maison était également située à environ 17 km de Red Hill, la base des avions de combat. Je jouais dehors avec Derek. Le crépuscule approchait lorsque nous entendîmes les avions dans le ciel. Ils volaient très bas, si bas que nous pouvions voir les croix gammées sur les ailes des avions allemands. Ils livraient un combat aérien à nos avions britanniques. Le policier qui était notre voisin nous demanda de rentrer rapidement à l'intérieur. Ma grand-mère ouvrait justement la porte pour nous demander de rentrer. La nuit fut terrible. Nous étions tous terrorisés. Le combat eut lieu pratiquement toute la nuit. Grand-mère fit le ménage dans l'armoire située en-dessous des escaliers et installa des couvertures sur le plancher. Derek et moi dormîmes sur le plancher tout habillés. Mes grands-parents s'assirent sur la partie la plus élevée du plancher, tout habillés. Caesar, notre chien, était terrorisé. Il tressaillait, agité de tremblements et se cachait sous nos couvertures. C'est là que nous dormîmes durant une longue période. Nous dormions toujours tout habillés. Nous ne savions jamais si nous n'allions pas devoir sortir en courant. Les sirènes nous informaient de l'arrivée des avions et un signal de « fin d'alerte » annonçait la fin du bombardement.

Nous devions porter nos masques à gaz partout où nous allions. Nous dûmes même les porter durant un certain temps à l'école tous les jours. Ils étaient très chauds et étouffants et la buée qui se formait à l'intérieur nous brouillait la vue. Je ne les aimais pas. Fréquemment, nous devions nous abriter quelques heures dans les abris antiaériens. Ils étaient mal éclairés et ils sentaient toujours l'humidité et le moisi. J'avais l'impression d'être enterrée vivante, même si j'étais très jeune. Nous avions l'habitude de chanter dans les abris. Certains des nourrissons pleuraient, réclamant leur mère. L'endroit était loin d'être agréable. Les abris ne comportaient aucune toilette.

Tout était rationné. Nous avions un carnet de rationnement que nous amenions au magasin chaque fois que nous allions faire des courses. Nous n'avions des oranges et des bananes qu'une fois ou deux par année. Les bonbons étaient rationnés et nous en mangions peu. Nous avions l'habitude d'acheter un petit sac de poudre de cacao, d'y tremper le doigt et de le lécher. Il fallait faire la queue pour toute chose. Il arrivait qu'on attende une heure en ligne pour obtenir un lapin et qu'une fois notre tour arrivé, nous apprenions qu'il n'en restait plus. Il y avait également une véritable pénurie d'élastiques, qui étaient de très mauvaise qualité. Ils cassaient tout de suite. Les femmes étaient très excitées lorsqu'elles apprenaient qu'une cargaison de bas de soie était arrivée. Ces articles étaient également très difficiles à obtenir.

Mon grand-père travaillait à Londres où il se rendait en train tous les jours. La gare était située à peu de distance à pied de la maison. Je me souviens que grand-mère surveillait l'arrivée du train le soir. Les trains étaient souvent frappés par une bombe à billes. Deux nuits par semaine, mon grand-père devait rester au travail et surveiller le toit au cas où il serait frappé par une bombe incendiaire qui y mettrait le feu.

Ma tante Joyce, qui avait 18 ans, rallia les forces terrestres. Elle devait traire les vaches, nettoyer les étables, etc., étant donné que les agriculteurs étaient partis pour la guerre. Il n'y avait pas assez d'hommes pour s'occuper des exploitations.

Ma grand-mère nourrissait les soldats canadiens qui creusaient des trous pour les abris antiaériens. Ils mangeaient beaucoup mieux que nous. Je pense que c'est le gouvernement qui fournissait la nourriture. Parfois, il en restait un peu et nous avions le droit de partager ces restants.

Caesar, le chien de ma grand-mère a dû être euthanasié. Le bruit des avions et des bombes le rendit fou. Il avait toujours eu très peur du tonnerre. C'était un chien adorable, un Airedale. Nous avions l'habitude de l'habiller. Il nous laissait lui faire tout ce que nous voulions. Il nous attendait à la porte à l'arrivée de l'école tous les jours, puis il nous suivait partout où nous allions. Nous fûmes très tristes lorsque nous apprîmes un jour, à notre retour de l'école, que Caesar n'était plus.

La guerre fut très exigeante pour les petits enfants. Il nous fallut grandir très vite. Nous étions toujours en état d'alerte, afin de savoir que faire lorsque les sirènes se déclenchaient pendant que nous revenions de l'école. Lorsque les avions nous survolaient, nous devions nous laisser tomber sur le sol face contre terre. Sinon, nous devions courir le plus vite possible jusqu'à la maison ou jusqu'à l'école.

Les bombes volantes étaient les pires. Il s'agissait d'avions ou de rockets sans pilote. Elles étaient suivies d'un long panache de flammes. Elles survolaient la maison et le moteur s'arrêtait tout d'un coup. Parfois, la bombe tombait directement, parfois elle continuait à planer sur des kilomètres. Lorsqu'on entendait le moteur s'arrêter, notre coeur cessait pratiquement de battre. Nous ignorions si la bombe allait tomber sur notre maison ou s'abattre sur celle du voisin.

Avant d'aller m'installer chez mes grands-parents, je vivais à Warminster. C'est là que les soldats étaient postés et entraînés avant de partir outre-mer. Les rues étaient bordées de gros camions et de tanks. Toutes les grandes maisons qui étaient vacantes étaient réquisitionnées par le gouvernement qui y installait des soldats. Nous avions l'habitude de passer devant l'une de ces maisons sur le chemin de l'école. Elles étaient habitées par des soldats américains. En général, ils nous donnaient de la gomme à mâcher et des bonbons « life savers ». Notre voisine avait l'habitude d'inviter des soldats à prendre le thé en soirée. Un jour que je jouais dehors, une camionnette remonta la rue et deux hommes se rendirent jusqu'à la porte de la maison de la voisine. Ils en ressortirent avec un soldat qu'ils traînèrent face contre terre jusqu'à la camionnette, puis ils le rejetèrent à l'intérieur. J'étais très malheureuse et je pleurais; je dormis mal cette nuit-là. J'entendais les adultes parler. Ils disaient que le soldat avait déserté parce qu'il devait prendre le bateau pour rallier l'outre-mer le lendemain. Je pense qu'il avait peur. Il était seulement très jeune.

Ma mère épousa un soldat canadien et lorsque la guerre fut terminée, mes deux demi-frères David, deux ans, Gordon, neuf mois, ma mère et moi prîmes le bateau pour Halifax. Nous quittâmes Southhampton le 6 août 1946 sur le Queen Mary. Ce fut toute une traversée. Le bateau était rempli d'épouses de guerre et de leurs enfants. La première fois que nous nous rendîmes en foule à la salle à manger, nous ne pûmes finir toute la nourriture. Je n'en avais jamais vu autant de toute ma vie. Des petits pains blancs et du vrai beurre, toutes sortes de viandes. Durant la guerre, notre pain était grisâtre. Ma mère souffrait beaucoup du mal de mer. Chaque jour, elle devait faire la queue pour laver les langes de mes frères. Elle s'évanouit deux fois. Il me fallait surveiller fréquemment mes frères. Nous recevions toutes nos directives par haut-parleur. Il nous fallait laisser la porte de notre cabine ouverte de quelques pouces en tout temps. Mon petit frère pouvait ramper par cette ouverture, et il était donc très difficile à surveiller. Il nous fallait nous rendre sur le pont avec nos gilets de sauvetage pour les exercices d'embarquement dans les canots de sauvetage. Il était très difficile de transporter un enfant, habillé de ces lourdes vestes. Une nuit, la mer fut très mauvaise. L'eau entra par le hublot et inonda mon lit. Je me réveillai trempée. Je pensais que nous étions en train de sombrer.

Mon beau-père nous rejoignit à Halifax le 12 août. Nous y passâmes la nuit. Je mangeais des raisins pour la première fois de ma vie; j'avais 14 ans. Nous embarquâmes pour Charlottetown, Î.-P.-É, très tôt le lendemain matin. Il faisait à peine jour. Le train était très lent et chaud. Lorsque nous ouvrions les fenêtres, la fumée noire pénétrait dans le compartiment. Mes frères portaient des vêtements de couleur très claire. Lorsque nous arrivâmes à Charlottetown, ils étaient vraiment sales. À notre arrivée en ville, ils étaient pratiquement noirs. Nous dûmes ensuite effectuer un périple d'une bonne heure en taxi pour rallier la maison des parents de mon beau-père à Little Pond, en empruntant des routes poussiéreuses et cahoteuses. Je me souviens m'être réveillée le matin et avoir découvert par la fenêtre que notre maison était située au milieu d'un champ. Et toutes les maisons que je voyais étaient en bois. Elles avaient l'air si étranges. Tous les toits étaient très pentus. Je ne tardais pas à apprendre qu'ils étaient conçus ainsi pour laisser s'écouler la neige. Bien entendu, je n'avais pas vu beaucoup de neige, aussi je ne comprenais pas très bien. Je finis toutefois bien par comprendre lorsque l'hiver arriva. Cette année là, il fut très rude. Très froid et beaucoup de neige.

Ma mère n'aimait pas l'endroit. Nous n'avions pas de plomberie à l'intérieur, pas d'électricité, pas de service d'autobus, uniquement des vieilles routes poussiéreuses. Elle voulait rentrer chez elle, mais bien entendu, elle n'avait pas l'argent pour ce faire. Nous repartîmes pour l'Angleterre au mois de juillet suivant. Nous traversâmes sur l'Acquitania, passâmes seulement l'été suivant, puis repartîmes pour de bon.

Ma mère travailla comme chef cuisinière au motel Kingsway durant environ 25 ans. Elle a aujourd'hui 91 ans et réside au manoir Colville à Souris, Î.-P.-É.. Mon beau-père vit dans sa propre résidence à Roseneath. J'ai épousé John Howlett et je vis dans l'ancienne propriété de mes parents à Annandale. Nous avons eu une exploitation agricole pendant quelques années, mais les temps étaient durs. Les grandes exploitations agricoles commençaient à l'époque et les petites exploitations mixtes ne pouvaient survivre; aussi, mon mari dénicha un emploi comme chauffeur d'autobus pour une école secondaire à Montague. Il resta en poste jusqu'à l'âge de 65 ans, où il fut contraint de prendre sa retraite. Nous avons eu cinq enfants, trois filles et deux garçons. Ils travaillent et résident tous à l'Île-du-Prince-Édouard.»

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