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Kenneth Tooley Schubert - La Seconde Guerre Mondiale

Opérations en Angleterre

Pour nous le grand jour est arrivé – nous avons obtenu notre diplôme de l’unité d’instruction au pilotage d’avions lourds; notre équipage était prêt à partir au combat. Le 20 mars 1944, nous avons été affectés au 431e Escadron d’Iroquois situé à Croft, dans le Yorkshire; c’est de là que nous avons décollé le 1er avril pour effectuer notre premier vol d’entraînement – un beau poisson d’avril! Le 431e Escadron était connu pour porter la poisse – c’était l’escadron qui avait subi les plus lourdes pertes au sein du Groupe numéro six. Il leur arrivait de perdre des avions qui effectuaient des vols d’entraînement. Afin de conjurer le mauvais sort, tous les équipages affectés à cet escadron devaient être meilleurs que la moyenne. Nous allions bientôt constater que cette procédure n’avait pratiquement aucun effet.

Il était prévu que nous volions à bord du tout nouveau Halifax Mark III. Ce nouvel appareil était nettement supérieur au Halifax Mark II, sur lequel nous avions volé. Il avait subi des modifications, avec des moteurs à cylindres en étoile plus puissants et une modification de l’empennage pour corriger les problèmes de décrochage. Deux équipages ont été affectés à chacun des deux appareils, qui volaient à tour de rôle une nuit sur deux (toutes les opérations auxquelles nous participions se faisaient de nuit). Nous nous étions imaginé que nous volerions longtemps sur cet avion, mais au bout de trois semaines environ, l’autre équipage s’est « cassé la pipe », comme on dit, et notre appareil n’est jamais rentré. Dans notre ignorance, nous nous étions demandé pourquoi l’escadron possédait autant d’appareils neufs.

L’aérodrome de Croft était neuf. Les pistes et le lieu de stationnement des avions étaient les seuls endroits de l’aérodrome bitumés. Partout ailleurs, on pataugeait dans la gadoue, en raison de la pluie incessante. Les équipages étaient logés dans des petites baraques préfabriquées chauffées par de petits poêles à coke. Nous avions droit à un seau de coke par jour seulement. Pour compléter cette ration, nous étions obligés de puiser dans celle que nous recevions pour le mess. Ceux qui nous avaient précédés dans notre baraque, l’avaient vidée de tout ce qui pouvait être retiré pour servir de bois de chauffage. Pour allumer un bon feu de coke, nous utilisions les douilles de cartouches de nos pistolets lance­fusées. Nous les ouvrions en deux, versions une bonne partie de la poudre sous le coke, et répandions ensuite une traînée de poudre jusqu’à ce que nous soyons à bonne distance du poêle. Un jour que la charge était un peu plus forte que d’habitude, elle a provoqué une vraie explosion en s’allumant. Des aviateurs qui passaient devant notre baraque se sont précipités à l’intérieur pour voir ce qui s’était passé. Ils ont prétendu que notre baraque avait fait un bond de près de 4 pouces au­dessus de la dalle de ciment (c’est ce qu’ils ont dit). Une autre fois, je me suis brûlé le bras assez grièvement sur la paroi du poêle. Nous savions que si nous en parlions aux infirmiers, je serais retiré du service actif, pour être ensuite réaffecté dans un autre équipage après mon rétablissement. Pour éviter cela, nous avons réussi à cacher ma blessure jusqu’à ce qu’elle soit cicatrisée.     

Un équipage de bombardier posant devant le quartier général du 431e Escadron, à Croft en 1944.
Photo utilisée avec la permission de Malcolm Barrass www.rafweb.org.

Nous apprenions désormais ce qu’était le monde de la guerre. Nous faisions de plus en plus de vols d’entraînement, de jour comme de nuit. Finalement, on nous a envoyés effectuer un vol de diversion, comme celui que nous avions fait en direction de Rennes. Cette fois­ci, nous devions nous rendre à un point situé à six degrés de longitude est dans la mer du Nord, à mi­chemin environ de la Norvège. Il s’agissait d’attirer les avions de chasse allemands vers le nord, pour les éloigner d’un raid de bombardement plus important qui faisait cap vers le sud. Nous n’avons rien vu, à part l’écume blanche des vagues, et nous sommes rentrés avant que les Allemands aient compris quoi que ce soit.

Le 15 avril, nous devions partir faire notre premier vrai vol opérationnel au­dessus du territoire ennemi. Nous devions nous rendre à Noisy­le­Sec, qui abritait l’un des dépôts de rails de Paris. Notre chargement comprenait six bombes à explosif brisant de 1000 lb chacune et neuf bombes à explosif brisant de 500 lb chacune. Certaines de ces bombes étaient munies d’une minuterie permettant de retarder jusqu’à 48 heures leur explosion, afin d’empêcher les Allemands de réparer les dommages qu’ils avaient subis trop rapidement.

Une séance d’instruction des escadrons 431 et 434, à Croft en 1944. Ken n’est pas sur la photo, mais il a assisté à au moins huit breffages de ce type. Photo utilisée avec la permission de Alan Soderstrom www.rcaf434squadron.com.

Après l’exposé avant vol, les équipages se dirigeaient vers leur appareil, où ils attendaient l’autorisation de lancer le raid aérien. Nous attendions parfois pendant des heures, juste pour apprendre finalement que le raid était annulé en raison des mauvaises conditions météorologiques à l’endroit de la cible – ces périodes d’attente étaient très éprouvantes nerveusement.

Si le raid était maintenu, les avions roulaient vers la piste, en file indienne comme un troupeau d’éléphants, nez contre queue. Le premier appareil commençait à descendre la piste et n’était pas encore en l’air que l’avion suivant était déjà engagé sur la piste. En cas d’accident, les aéronefs se contentaient de continuer à décoller par­dessus les épaves. Bien souvent, la visibilité était très mauvaise, avec du brouillard ou de la pluie, mais en général, une fois que nous étions en l’air, nous sortions rapidement des nuages pour nous retrouver dans un ciel parfaitement clair. En­dessous, les nuages ressemblaient à de petites collines blanches ondulées et réfléchissaient la lumière de la lune. 

Un bombardier Halifax garé sur son aire de stationnement à Croft en 1944.

En général, on ne voyait jamais aucun autre appareil avant d’arriver aux côtes anglaises, mais à mesure que nous nous rapprochions de la cible, les avions convergeaient de tous les côtés, arrivant aussi bien d’en haut que d’en bas. Nous ne volions jamais en formation. Chaque avion était censé suivre la même trajectoire et maintenir la même vitesse. Toutefois, en raison d’erreurs humaines, d’actions de l’ennemi ou de problèmes mécaniques, nous étions généralement éparpillés sur une grande partie du ciel. Lorsque nous avons amorcé notre passage de bombardement sur Noisy­le­Sec, un autre Halifax venait juste d’amorcer le sien devant nous. Apparemment, ils ont dû croire que nous les attaquions, car ils ont ouvert le feu sur nous avec leurs huit mitrailleuses en même temps. L’air était rempli de balles traçantes tout autour de nous, mais je ne sais comment, elles ne nous ont jamais atteints. En tout cas, ils ont interrompu leur passage de bombardement et tout s’est passé si vite que nous avons continué et largué nos bombes sur la cible. Nous avons largué nos bombes à six mille pieds, et avec le sol illuminé par les bombes éclairantes et les éclairs de mitrailleuses, on distinguait nettement les points de chute des bombes et les soldats qui tiraient en l’air depuis les rails et les wagons. Nous sommes rentrés à la base sans le moindre dommage et un peu plus assagis par cette expérience.

Aux alentours du 18 mars, j’ai reçu des nouvelles d’Helen qui m’informait que nous avions eu un fils, Kenneth Charles. Cette excellente nouvelle était malheureusement gâchée par le fait qu’il avait une hernie à la base de la colonne vertébrale qui devait être opérée le plus tôt possible. Apparemment, on était obligé de l’opérer et l’opération avait autant de chances de réussir qu’il avait de chances de mourir. Je n’ai eu aucune autre nouvelle sur la manière dont se déroulaient les choses jusqu’à mon retour de Belgique, en septembre. J’ai alors appris que sa hernie était due au spina­bifida et que ses racines nerveuses étaient imbriquées dans la moelle épinière. L’opération avait réussi, mais en raison de nerfs qu’il avait fallu couper, il avait gardé quelques séquelles qui se corrigeraient avec l’âge, selon les médecins.

Deux équipages d’Halifax attendant l’autorisation de partir en mission et d’être transportés vers les bombardiers, à Croft, en Angleterre en 1944 – c’était « très éprouvant nerveusement ». De gauche à droite : le Sgt J.J. dit « Red » Cook, le Sgt Lloyd Perry, le Sgt Grant dit « Chick » Bull, l’Adj. Butch MacStocker, le lieutenant d’aviation Bill Dudley, le lieutenant d’aviation Ken Schubert, le lieutenant d’aviation H. Pond, le lieutanant d’aviation Doug King et l’Adj. Al Casey. 

Nous avons poursuivi nos opérations de vol pratiquement toutes les autres nuits, sauf lorsque les conditions météorologiques se détérioraient. Le 22 avril, nous avons effectué notre premier vol en direction de l’Allemagne pour aller bombarder une cible qui se trouvait à Dusseldorf.

La vallée de la Ruhr était connue pour être une véritable allée de canons antiaériens et, après notre mission sur Dusseldorf, nous ignorions pourquoi. Après avoir décollé, nous avons trouvé le moyen de manquer un message de la base concernant la correction­vent. Nous avons dévié de la trajectoire à suivre pour aller en France et sommes arrivés bien plus au sud; lorsque le navigateur a fini par corriger notre trajectoire, nous étions à peu près à 10 minutes de distance de la dernière escadrille des 2 000 bombardiers qui attaquaient la cible. Et ça, c’était un péché capital selon le Bomber Command. Nous aurions dû nous trouver à dix miles du sillage principal des bombardiers, chacun d’eux volant seul dans le noir jusqu’à ce qu’ils atteignent la cible. Arrivés à environ 100 miles de la cible, nous pouvions voir les feux, et après nous être encore rapprochés, la fumée dépassait notre plafond de 23 000 pieds. Nous apercevions notre cible à travers la fumée – tous les projecteurs de recherche étaient installés dans les collines et il n’y avait aucun autre avion dans le ciel. Il n’y avait aucun avion de chasse et aucun tir de canons antiaériens. J’ai eu l’impression de mettre une éternité à ouvrir la trappe de la soute à bombes alors que le point de mire se rapprochait à pas de loup sur le cadran de visée. Nos bombes ont atteint la cible en plein dans le mille, nous avons fermé la trappe de la soute à bombes et erré (fait une manœuvre d’évitement) jusqu’à la base sans nous faire tirer une seule fois dessus. C’était la fin de la paix et de la tranquillité. De retour à la base pour faire notre compte rendu de vol et notre rapport, nous nous sommes bien sûr fait sonner les cloches pour avoir été en retard sur la cible et pour avoir été encore plus en retard à la base, même si nous étions rentrés entiers. La vallée de la Ruhr ne serait plus jamais aussi paisible.

L’équipage de l’Halifax III MZ-521 SE-T, Escadron 431, à Croft, en Angleterre, en 1944.  De gauche à droite; rangée du fond : le Sgt Grant dit « Chick Bull » (mitrailleur arrière), le Sgt Harry Walker (mitrailleur dorsal), le Sgt Jack Lee (mécanicien de bord). Rangée de devant : le lieutenant d’aviation Ken Schubert (viseur de lance­bombes), le lieutenant d’aviation Bill Wilson (pilote), l’Adj. Butch MacStocker (navigateur) et l’Adj. Al Casey (radiotélégraphiste-mitrailleur).

Le 24 avril, nous sommes allés faire un tour à Karlsruhe dans le sud de l’Allemagne. C’était le vol le plus spectaculaire que nous ayons fait. Nous avons voyagé avec un front météorologique qui était censé être derrière nous, en volant uniquement dans les nuages. Notre appareil était entièrement chargé d’électricité statique, avec des décharges dues au phénomène du feu Saint­Elme qui couraient tout autour des cadres de hublot et se propageaient d’une mitrailleuse à l’autre. Nous étions toujours dans les nuages lorsque nous avons atteint la cible; nous devions lâcher nos bombes sur les bombes éclairantes lancées par la Pathfinder Force. Ils lançaient les bombes éclairantes au sommet des nuages et, si nous visions celles­ci avec nos lance­bombes, elles continuaient leur chute pour arriver sur la cible en­dessous des nuages. L’appareil de tête de la Pathfinder Force volait autour de la cible à une altitude de moins de mille pieds, en dirigeant le reste du raid par radio. Nous devions continuer de voler en direction de la cible pendant dix minutes et ensuite faire deux écarts pour nous retrouver sur la trajectoire à suivre pour rentrer à la base; nous étions censés nous écarter de la cible. Malheureusement, le vent de face avait tourné et, alors que nous étions sur le chemin du retour, il nous a ramenés au beau milieu de la zone surplombant la cible, où le temps était désormais parfaitement dégagé, derrière le front. Il y avait des tas d’avions qui volaient dans tous les sens, au­dessus et en­dessous de nous; aussi bien nos propres bombardiers que des avions de chasse allemands. Avant que nous ayons pu nous sortir de ce pétrin, deux ME 110 (chasseurs allemands) nous ont pris en chasse et nous ont attaqués de chaque quart arrière à tour de rôle, pendant plus d’une demi­heure. Les mitrailleurs arrière et dorsal étaient occupés à entreprendre une manœuvre d’évitement et le pilote a réussi à nous mettre hors de portée des tirs de canon. Malgré toutes ces mesures d’évitement, notre système de navigation à l’estime était touché, et il nous était impossible de savoir quelle était exactement notre position. Nous savions où se trouvait la Suède et nous avions une bonne idée d’où se trouvait la mer du Nord. Le navigateur nous a proposé de suivre une trajectoire qui aurait dû nous emmener au­dessus de la Hollande, et nous avons pensé que, si nous pouvions atteindre la mer du Nord, nous pourrions toujours faire un amerrissage forcé au cas où nous tomberions en panne de carburant. Quand nous avons enfin traversé les côtes hollandaises, nous avons été capables de déterminer notre position et nous avons pu trouver une bonne trajectoire pour rejoindre notre base, à Croft. Nous nous sommes posés sur la piste après sept heures et quart de vol, notre plus long vol, en n’ayant presque plus de carburant. Le lendemain matin, nous avons appris que deux bombes incendiaires de 4 lb avaient percé notre réservoir de carburant et qu’elles étaient d’ailleurs toujours dedans. Elles avaient été larguées par un appareil qui volait au­dessus de nous, à coup sûr un Lancaster, parce qu’il possédait un plafond de vol plus élevé que les Halifax.

Ken en train d’inspecter les bombes chargées à bord de son bombardier Halifax Mark III, à Croft, en Angleterre, en 1944. Son appareil transportait deux bombes à explosif brisant de 1000 lb et sept bombes incendiaires de 500 lb dans son fuselage, ainsi que six bombes incendiaires de 500 lb dans ses ailes.

Le 26 avril, nous sommes retournés dans la vallée de la Ruhr pour larguer sept caisses de 500 lb contenant des bombes incendiaires de 4 lb et huit caisses de 500 lb contenant des bombes incendiaires de 30 lb sur une usine de roulements à billes à Essen et tenter de la détruire. Nous devions attaquer en escadrilles avec plus de mille autres bombardiers. Au cours de ce vol, nous avons vraiment compris ce qu’était « l’allée de canons antiaériens ». C’était comme un gros nuage noir que nous devions traverser, avec le shrapnel qui venait frapper notre appareil comme si quelqu’un n’arrêtait pas de nous jeter des cailloux. Nous avons réussi à passer à travers et à aller vers la cible sans grands problèmes, même si nous pouvions voir les tirs à 100 milles à la ronde. Avec les projecteurs, il faisait plus clair qu’en plein jour. On pouvait voir l’ensemble des bombardiers qui se dirigeaient sur la cible, et les chasseurs allemands qui les suivaient de tout près. On voyait nos bombardiers tomber en flammes. À pleine charge, l’Halifax ne pouvait monter que jusqu’à 23 000 pieds. La fumée était épaisse à cette hauteur, et les bombes que les Lancasters larguaient à 25 000 pieds sifflaient autour de nous de toutes parts. Traverser ce chaos sans se faire toucher semblait totalement impossible. Nous avons foncé sur la cible, largué nos bombes et nous nous sommes aperçus qu’une de nos bombes était coincée; alors, le pilote a plongé en piqué pour repartir en décrochage et forcer la bombe à se détacher. Nous avons ensuite fermé la trappe de la soute à bombes et nous nous sommes dirigés vers chez nous, en volant bien plus bas que l’altitude à laquelle nous aurions dû être. Alors que nous errions dans les airs, un autre appareil est apparu devant nous plus au­dessus – il s’est avéré qu’il s’agissait d’un JU­88 (un avion de chasse allemand). Nous avons continué de voler comme ça pendant plusieurs minutes et le JU­88 a progressivement disparu dans le noir. Nous sommes rentrés à la base à l’heure prévue et sans une égratignure.

Distribution du courrier à Croft en 1944. De gauche à droite : Al Casey, Butch MacStocker et Bill Dudley.

Quatre mois en Belgique
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