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Les mémoires de Gordie Bannerman

Outre-mer

À l'arrivée de l'automne, j'ai eu une permission, car on m'avait choisi pour suivre la formation d'officier et j'allais bientôt m'embarquer. Ma famille était bien contente de me voir, et j'étais moi aussi content de les retrouver. Le moment de partir est arrivé, et je savais, cette fois, que je m'embarquerais bientôt pour l'étranger. Mon frère George avait suivi de la formation militaire à Dundurn et Nanaimo quand il était dans la réserve, et il a décidé de s'enrôler dans les forces actives. Il a été affecté à Dundurn, à titre de sergent. Mon père a pour sa part rejoint les rangs de la 28e Compagnie de la garde territoriale des anciens combattants. Nous étions donc trois à quitter ensemble la ferme le même jour. Je vois encore ma mère nous faire signe de la main jusqu'à ce qu'elle nous perde vue. Maman était la femme la plus extraordinaire! Elle ne sanglotait jamais en nous faisant ses adieux. Elle gardait cela pour elle et c'est avec le sourire qu'elle nous faisait ses adieux.

Papa, George et moi sommes arrivés à Swift Current pour prendre le train. George s'est embarqué tout de suite pour Dundurn. Papa et moi devions prendre des trains différents tôt le lendemain matin, papa en direction de Moose Jaw et moi, en direction de Petawawa. Le voyage vers l'Est s'est déroulé sans incident. À Winnipeg, le train s'est arrêté près d'un autre en direction de l'Ouest, et mes camarades du régiment, qui partaient en permission, m'ont crié qu'ils étaient en congé d'embarquement. Le régiment allait partir outre-mer. Et moi qui m'étais imaginé y aller avant eux! Mon départ avait été annulé et je devais attendre et partir avec le régiment. De retour à Petawawa, les préparatifs allaient bon train. Il fallait que tous les hommes partent en permission et reviennent, reçoivent d'autres vaccins contre le tétanos et terminent tous les entraînements. Ceux qui ne voulaient pas partir outre-mer ont pu, je ne sais trop comment, obtenir des affectations au mess de la base ou à des secteurs d'entraînement. Certains des hommes plus âgés et moins en forme ont été renvoyés pour raisons médicales. C'était une période de grande anticipation. Nous étions en octobre, et le détachement précurseur, sous le commandement du major McNeil, était déjà parti à bord de l'Orangi. Le reste du régiment avait été inspecté, et tout était prêt quand on a reporté notre départ. Nous avons enfin quitté Petawawa le 8 novembre, et nous nous sommes embarqués sur l'Oronsay. L'aventure venait tout juste de commencer véritablement.

Enfin, nous étions en route. À bord du train de troupes qui nous transportait, nous ne savions trop où, mais nous soupçonnions que c'était outre-mer, le colonel Thackray a fait la tournée des wagons pour nous souhaiter bon voyage. Et voici que notre colonel, les larmes aux yeux, nous serrait la main et nous appelait par notre nom, en disant tout le bien qu'il pensait de nous qui partions. Il disait regretter d'avoir à rester ici dans une fonction administrative. Plus tard, on a appris qu'il avait été promu brigadier-général et avait obtenu le commandement du camp de Petawawa. Nous lui avons souhaité bonne chance. Voilà que nous allions quitter le pays. Le train a cheminé dans la campagne en Ontario, puis au Québec. À Québec, on nous a fait descendre pour marcher sur une rue revêtue de pavés jusqu'à un endroit appelé la Citadelle, je crois. Nos semelles de métal faisaient des flammèches au contact des pavés mouillés. C'était tard la nuit et je ne me souviens pas d'avoir vu âme qui vive ni véhicule dans la rue. Cette marche visait à nous faire prendre l'air. Vu que c'était le début novembre et que les wagons étaient chauffés à la vapeur, il fallait descendre pour respirer un peu d'air frais.

Le train semblait avancer davantage la nuit. Après deux nuits, je crois, le train est arrivé à Halifax, Nouvelle-Écosse. Nous savions que nous partions outre-mer, mais la question était de savoir où. À la descente du train, on nous a remis des documents selon lesquels nous allions traverser à bord du navire Oronsay. Je partageais une cabine avec le sergent Vern Lovely, sergent dans la même troupe que moi. C'est ça la guerre, me suis-je dit, partager une cabine avec hublot sur la mer et tout!

Nous étions séparés des artilleurs et de tous les grades inférieurs. Nous avons retrouvé nos hommes dans les entrailles du navire. Pas de hublots, des hamacs suspendus au-dessus des tables du mess pour dormir. Nous n'avions pas encore quitté le port que les gars avaient commencé à maugréer. Leurs conditions de vie étaient exécrables. C'était un désastre annoncé. Et ces milliers de livres d'aliments succulents que nous avions vu charger sur le navire, des quartiers de bœuf et tous ces merveilleux produits canadiens, allait-on nous en servir? Comme nous étions à bord d'un vaisseau britannique et sous commandement britannique, il fallait bien se résigner. Non, nous n'avons pas eu de bœuf ni grand-chose digne d'être mangé. Les sergents et hauts gradés s'en sont sortis assez bien, mais la situation des soldats était vraiment minable. Pour vous montrer la différence : un préposé aux cabines nous réveillait, Vern et moi, aux alentours de cinq ou six heures. Il plaçait une tasse de thé bouillant au bord de nos lits. Les hommes, eux, devaient se rendre à la cuisine chercher de grands contenants et les transporter sur le pont  qui valsait sous l'effet des vagues et du vent, puis descendre dans les entrailles du navire pour retrouver les autres gars. Parfois ils renversaient le contenu, mais la plupart du temps quand ils arrivaient en bas, le thé était froid. Pouvez-vous imaginer vous réveiller, sortir du hamac et vous apercevoir que pratiquement tout le monde avait été malade durant la nuit et avait vomi sur les tables? Et comme si cela n'était pas assez dégoûtant, il y avait la mauvaise ventilation et la puanteur du vomi, puis des artilleurs arrivaient avec un petit déjeuner de harengs fumés vous fixant de leurs grands yeux vitreux. Les gars voyaient cela, et les vomissements reprenaient de plus belle. Personne n'aurait dû être traité de cette manière. 

Menu à bord de l'Oronsay.

La première journée à bord de l'Oronsay, nous avons entendu une nouvelle à la radio du navire selon laquelle Ottawa tenait des pourparlers avec Washington pour déterminer s'il fallait autoriser les navires et marins américains à naviguer dans nos eaux. Tout de suite après cette annonce, une navette transportant une trentaine d'officiers supérieurs de la marine américaine accostait notre vaisseau. Ces gens-là n'étaient pas tombés du ciel. Leurs navires devaient bien être à l'extérieur du port. Le jour suivant, nous avons jeté l'ancre, et il y avait une armada de navires de guerre américains à l'extérieur du port. Cette flotte impressionnante comptait au bas mot trois navires de guerre et environ douze destroyers. Quelle démonstration de force! Un des navires de guerre transportait un avion qu'on catapultait dans les airs et qu'on récupérait à l'aide d'un crochet et d'un treuil. La traversée s'est déroulée sans attaques de sous-marins allemands. Il y a eu une alerte, mais notre convoi n'a pas été attaqué, car presque toute la division était à bord. Le convoi comptait environ vingt navires. Évidemment, notre vitesse était celle du navire le plus lent. Un des navires s'est éloigné et a disparu pendant un bon bout de temps, mais le lendemain matin il avait à nouveau rejoint le convoi. 

Enfin, nous étions sur l'océan Atlantique. Pendant des journées entières, tout ce qu'on pouvait voir, c'était l'escorte de navires américains et les eaux grises et mugissantes de l'océan. La nuit, ce magnifique océan scintillait d'une vie aquatique qu'on pouvait détecter dans la vague de proue de l'Oronsay. C'était tout un spectacle! Nous étions émus en tant qu'artilleurs de voir des groupes d'artilleurs de la marine royale tirer leurs canons pour nous protéger. D'une certaine façon, j'ai aimé le voyage et je n'ai pas souffert du mal de mer. Mais le sort réservé aux artilleurs était assez misérable. La traversée n'a été d'aucun plaisir pour eux. Nous n'avions pas le droit de jeter quoi que ce soit à la mer de peur que des sous-marins allemands le voient et suivent le convoi. Il ne fallait pas non plus fumer sur le pont la nuit, et aucune lumière ne s'échappait des navires.

L'Oronsay.

À un moment donné, quelqu'un a déplacé un des coussins dans le grand salon et on a pu voir un grand nombre de trous de balles d'arme automatique. À nos questions, les membres de l'équipage ont répondu que durant la traversée précédente, l'Oronsay avait été attaqué par des avions de chasse ennemis. Une quinzaine d'Australiens en partance de Tobrouk s'étaient installés devant cette grande fenêtre pour observer les combats. Un des avions a raflé l'Oronsay avec des tirs d'obus et de mitrailleuses et a tué un bon nombre des gars qui se trouvaient devant la fenêtre. On nous a avertis de nous tenir loin des fenêtres si jamais le navire était attaqué. Les trous de balles dans le bois derrière les coussins étaient suffisants pour nous rappeler la mise en garde. Les taches de sang n'avaient pas encore disparu.

L'armada impressionnante de navires de guerre américains devait nous quitter bientôt. Environ un jour avant d'arriver en Angleterre, la flotte américaine s'est éloignée, et seuls trois destroyers alliés sont restés à nos côtés pour le reste de la traversée, qui a duré encore une journée. Bientôt, nous avons remonté le fleuve Mersey jusqu'à Liverpool. Tout le long de la remontée vers Liverpool, les mâts de navires coulés balisaient le chenal. Ces navires avaient été coulés par des tirs ennemis. Nous savions que nous étions entrés dans la zone de guerre. Le navire a été amarré, et tous les débardeurs étaient sur le quai pour nous souhaiter bienvenue. Ils nous ont dit qu'il manquait beaucoup de choses en Angleterre et que les cigarettes étaient rares. Nos gars, qui avaient des cigarettes, se sont mis à leur en lancer. Les débardeurs ont vite compris et les ont encouragés à en lancer encore plus. Nos gars ont vite regretter leur générosité, car il a fallu beaucoup de temps avant qu'ils reçoivent des cigarettes de chez eux.

Coupures de journaux concernant l'arrivée des troupes canadiennes.

Ce jour-là, j'étais sergent de service aux côtés du SMR, l'officier de faction. Nous regardions les gars lancer des paquets de cigarettes et les écoutions échanger des plaisanteries avec les débardeurs sur le quai. Bill Briant était un gars qui parlait beaucoup et très rapidement. Un goéland de passage lui a chié dans la bouche. Et bien, Bill a craché et juré pendant ce qui a semblé une éternité et sans jamais répéter les mêmes jurons. Le SMR Murray était un homme assez sérieux, mais cette fois-là il était plié en deux à force de rire.

Nous sommes descendus du navire le lendemain et nous avons pris un petit train (à comparer à nos gros trains au Canada) pour une destination inconnue. Nous avons filé à travers la campagne anglaise en cherchant à voir des signes de bombardement. Au beau milieu de la nuit, nous sommes arrivés à Aldershot, un vaste camp militaire et village construit près de cent ans auparavant. Le détachement précurseur était en Angleterre depuis quelque temps et, dans le noir, nous avons entendu la voix du bombardier John Amyotte sommant les gars de la 76e Batterie de le suivre. Nous avons grimpé Gun Hill à la marche et nous avons su qu=on nous installait dans la caserne Waterloo West.

Lettre du père de Gordie datée du 2 décembre 1941.

Instruction supplémentaire
en Angleterre
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